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Le califat de Mu'âwiya
Par Anas ahmad lala • 14 sept, 2008 • Catégorie: e - Croyances au sujet des Compagnons
(Suite de l'article Uthmân face aux épreuves - Le malentendu entre Alî et Mu'âwiya)
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Al-Hassan ibn Alî (que Dieu l'agrée) :
Après le martyre de Alî, alors qu'il y a toujours une sorte de face à face entre les gens de Syrie et ceux du Hedjaz, Mu'âwiya envoie deux personnes parlementer avec al-Hassan fils de Alî, à qui les gens du Hedjaz ont fait allégeance.
Al-Hassan se désiste alors au profit de Mu'âwiya ; il lui fait allégeance. Mu'âwiya se rend à Kufa, dont les habitants lui font aussi allégeance. De même, lui font allégeance les Compagnons qui n'avaient pas participé aux batailles entre lui et Alî. Puis al-Hassan rentre à Médine, et Mu'âwiya à Damas. L'année sera connue sous le nom de "l'année du regroupement" ("'âm ul-jamâ'ah") (FB 13/79-80). Al-Hassan évoque ce que Abû Bakra lui a rapporté : un jour que le Prophète faisait un sermon, al-Hassan, encore enfant, était apparu. Le Prophète avait alors dit de son petit-fils : "Mon fils que voici est un chef. Et peut-être que Dieu réconciliera par son intermédiaire deux groupes de musulmans" (al-Bukhârî 2704, 3629, 3746, 7109, at-Tirmidhî 3775, Abû Dâoûd 4662, FB 13/77).
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Mu'âwiya (que Dieu l'agrée) :
Mu'âwiya a été calife. Certes, le Hadîth relaté par Safîna dit : "Le califat durera trente ans, puis viendra la royauté" (at-Tirmidhî 2226, Abû Dâoûd 4646). A le considérer de façon littérale, on pourrait croire qu'après Alî ou al-Hassan ibn Alî, il n'y a plus eu du tout de califat (puisqu'au moment où Alî meurt ou bien où al-Hassan se désiste en faveur de Mu'awiya, il y a justement trente ans que le Prophète est mort). Mais la vérité est, comme Ibn Taymiyya l'a écrit, que dans ce Hadîth le terme "califat" désigne seulement le "califat sur le modèle du prophétat" ; en effet, car le Prophète lui-même a dit qu'il arriverait un temps où il y aurait plusieurs califes (rapporté par al-Bukhârî, Muslim, Abû Dâoûd) ; or qu'il y ait des califes rivaux ne relève assurément pas du califat des trente premières années ; et pourtant le Hadîth parle malgré tout de "califes" ; le Hadîth relaté par Safîna signifie donc seulement que le califat de ces trente premières années serait sur le modèle du prophétat et que le califat qui apparaîtrait ensuite aurait une teinte de royauté (MF 35/20, 35/25-27, voir aussi FB tome 13).
Que signifie "le califat teinté de royauté" ?
Ces termes ne désignent pas la succession dynastique, car Mu'âwîya n'a pas désigné Yazîd parce que c'était son fils mais parce qu'il pensait qu'il était l'homme le plus apte pour la situation (nous y reviendrons plus bas) ; de plus c'est seulement après quinze années de califat que Mu'âwiya désigna Yazîd ; or tout le califat de Mu'âwiya est considéré comme "teinté de royauté". En fait le "califat sur le modèle de la royauté" désigne seulement le cas de figure où le calife a, dans sa vie publique, le faste des rois (MF 35/34) ; et ce fut le cas de Mu'âwiya (HB 2/581). Ibn Taymiyya écrit que dans le Califat sur le modèle du Prophète, le calife et les gouverneurs habitent des maisons comme tout le monde, de même qu'ils font leurs cinq prières côte à côte avec tout le monde dans la mosquée ; le Califat sur le modèle des rois est différent : "Mu'âwiya se dissimula des gens car il craignait d'être assassiné comme Alî le fut ; il plaça des maqsûra [sortes de petites guérites] dans les mosquées pour que le dirigeant et ses accompagnateurs y fassent leurs prières ; il eut recours aux convois ("markab") [pour se déplacer] ; les autres califes-rois suivirent ses pas. A côté du fait qu'ils continuèrent à diriger les batailles et les prières, à participer aux prières du vendredi, à la prière en congrégation, à la lutte et à l'application des peines, ils se firent aussi construire des palais dans lesquels ils habitaient et recevaient les grands personnages" (MF 35/40). Ce sont là quelques expressions de ce faste royal qui caractérise le "califat teinté de royauté".
David et Salomon (que la paix soit sur eux) furent des prophètes-rois. Le Prophète a dit : "On m'a donné le choix entre être prophète-roi et être prophète-messager. J'ai choisi d'être prophète-messager" (cité par Ibn Taymiyya dans Majmû' ul-fatâwâ 35/22 ; rapporté par at-Tabarânî) ; "Un ange est venu à moi (...) et a dit : "Ton seigneur te salue et dit : "Si tu le veux, (tu seras) un prophète-esclave, et si tu le veux, (tu seras) un prophète-roi". J'ai alors regardé Gabriel. Il m'a fait signe de m'humilier" / "J'ai alors dit : "Un prophète-esclave."" Aïcha dit : "Le Messager de Dieu, après cela, ne mangeait plus en étant appuyé ; il disait : "Je mange comme mange l'esclave, et je m'assieds comme s'asseoit l'esclave"" (rapporté par al-Baghawî dans Shar'h us-sunna : cf. Mishkât ul-massâbîh, n° 5835-5836). Ibn Taymiyya relate qu'il y a ici deux avis chez les ulémas :
a) soit il est préférable que le califat soit sur le modèle de la prophétie mais le fait qu'il soit teinté de royauté ne constitue pas un acte strictement interdit ; les ulémas qui sont de cet avis lisent le hadîth ci-dessus comme étant un choix, une préférence, l'autre possibilité n'étant pas interdite. Ces ulémas se fondent aussi sur le fait que pendant son califat Omar avait nommé Mu'âwiya gouverneur de Syrie, et, ayant vu le faste dans lequel il vivait, il lui avait dit : "Je ne te dis pas de faire cela et ne te l'interdis pas non plus" (MF 35/24) ; voyez : Omar ne le lui a pas strictement interdit ;
b) soit il est obligatoire que le califat soit sur le modèle du prophétat, et si Mu'âwiya eut recours au califat teinté de royauté c'est parce qu'il y avait nécessité par rapport à la situation dans laquelle il vivait (hâja, naqs ul-qud'ra) (MF 35/22-26). Ibn Taymiyya est de cet avis. Il explique que si Omar a dit ce qu'il a dit à Mu'âwiya, c'est parce que ce dernier lui avait expliqué que c'était la situation dans laquelle il se trouvait en Syrie qui l'avait poussé à adopter ce choix ; ce fut donc un effort d'interprétation (ijtihâd) de sa part, et c'est pourquoi Omar ne lui dit rien ; cependant, Omar ne partagea pas non plus cette interprétation (MF 35/24). Si Omar l'a laissé avec son interprétation, cela n'implique donc pas qu'il ait pensé qu'elle était correcte.
Quel que soit celui de ces deux avis auquel on adhère, Mu'âwîya n'est en rien à blâmer puisqu'il a fait soit quelque chose qui est en soi permis, soit quelque chose qui est en soi à éviter mais qu'il n'a pas pu éviter à cause de la situation dans laquelle il se trouvait.
D'autre part, certes le Prophète a dit qu'après lui "le commandement deviendra un califat et une miséricorde, puis une royauté mordante ; puis cela laissera la place à une dictature, une arrogance et un mal sur terre : ils déclareront permis la soie, les relations intimes hors mariage et l'alcool, recevront leur subsistance ainsi et auront le dessus jusqu'à leur mort" (Mishkât n° 5375-5376) ; certes le Prophète a dit aussi : (Après mon temps) "il y aura un califat sur le modèle du prophétat le temps que Dieu le voudrait, puis Dieu le fera disparaître ; puis il y aura une royauté mordante le temps que Dieu le voudra, puis Dieu la fera disparaître ; puis il y aura une royauté dictatoriale le temps que Dieu le voudra, puis Dieu la fera disparaître ; puis il y aura un califat sur le modèle de la prophétie" (Mishkât n° 5378). Mais cela ne veut pas dire que "le califat sur le modèle du prophétat" a immédiatement laissé la place à "la royauté mordante". En effet, Ibn Taymiyya relate un troisième Hadîth où on lit que le Prophète a dit qu'il y aurait, après lui, d'abord "un califat et une miséricorde, puis une royauté et une miséricorde, puis une royauté dictatoriale, puis une royauté mordante" (je n'ai pas pu trouver ce Hadîth tel qu'il est relaté par Ibn Taymiyya, mais un Hadîth voisin a été rapporté par ad-Dârimî, n° 2101). Si Mu'âwiya a établi un califat teinté de royauté, ce fut donc une royauté et une miséricorde, car il était juste (voir MF 4/478, 18/13). Ce fut bien plus tard que le califat devint une royauté mordante. Ce fut encore plus tard que cela laissa la place à une royauté dictatoriale, arrogante, répandant le mal et déclarant permis ce qui est strictement interdit (les pays musulmans se trouvent toujours dans cette situation aujourd'hui).
Mu'âwiya est un illustre Compagnon du Prophète. Le Prophète l'avait utilisé comme scribe de la révélation (MF 35/64, note de bas de page sur AMQ p. 211). Il avait prié Dieu en sa faveur en ces termes : "O Dieu, enseigne à Mu'âwiya le Livre et les comptes, et protège-le du châtiment" (Ahmad, n° 16526) (MF 35/63). A quelqu'un qui était venu se plaindre que Mu'âwiya accomplissait la salât ul-witr en une rak'a seulement, le très docte Ibn Abbâs répondit : "Il a fait juste. C'est un savant" ("Assâba, innahû faqîh") (al-Bukhârî, n° 3554). Abu-d-Dardâ' dit : "Je n'ai vu personne d'autre que Mu'âwiya faire une prière qui ressemble autant à celle que le Prophète faisait" (al-Baghawî, cité dans MS 3/292). De plus, le Prophète avait fait les éloges de gens de sa communauté qu'il avait vus en rêve voguer sur les flots, voyageant dans le chemin de Dieu (al-Bukhârî n° 2636, Muslim n° 1912) et il avait dit que les premiers qui feraient ainsi iraient au paradis (al-Bukhârî n° 2766) ; comme l'a écrit Ibn Kathîr, le Prophète parlait là de ceux de ses disciples qui, en l'an 27 de l'hégire, devaient partir pour Chypre ; or, ils étaient sous le commandement de Mu'âwiya (note de bas de page sur AMQ p. 215, également FB commentaire de 2766).
'Amr ibn ul-'As fait partie des Muhâjirat ul-fat'h (= Muslimat ul-hudaybiya). Mu'âwiya fait quant à lui partie des Tulaqâ' (= Muslimat ul-fat'h). Ils ont tous deux dépensé de leurs biens et combattu pour l'islam en compagnie du Prophète lors des campagnes de Hunayn et de at-Tâïf en l'an 8 de l'hégire. Si le verset dit que ceux qui ont dépensé de leurs biens et combattu après le tournant de al-Hudaybiya ne sont pas du même niveau que ceux qui l'ont fait après ce tournant, il dit aussi : "Et à tous Dieu a promis le meilleur" (57/10). De plus, l'autre verset affirme que Dieu a agréé "as-sâbiqûn al-awwalûn min al-muhâjirîn wa-l-ansar" mais aussi "wal-ladhîna-t-taba'ûhum bi ihsân" (9/100). Comment quelqu'un pourrait-il dire le contraire à propos de ces deux illustres personnages (MF 4/458-459) ? Lorsqu'ils ont refusé de faire allégeance à Alî, soit ils ont fait un effort d'interprétation qui s'est révélé être erroné (khata' fil-ijtihâd) et cela rapporte une récompense si on se trompe ; soit ils ont fait une faute morale (dhanb) mais ils n'en auront pas de punition auprès de Dieu car Dieu leur a promis le meilleur ; de fait, Dieu pardonne les péchés pour de nombreux motifs (MF 4/461).
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L'allégeance à Yazîd :
En l'an 56, Mu'âwiya, ressentant qu'il vieillit (il a alors plus de 70 ans), désire nommer celui qui lui succèdera comme calife. Son objectif est, eu égard aux événements du passé assez récent, d'éviter aux musulmans une nouvelle division. Il écrit donc au gouverneur de Médine, Marwân ibn ul-Hakam : "J'ai vieilli, mes os ont faibli, et je crains la division dans la communauté après moi. Je pense donc nommer celui qui me succédera. Je ne voudrais pas décider de quelque chose sans consulter ceux qui sont auprès de toi. Présente-leur donc cela et fais-moi savoir ce qu'ils te répondent" (Ibn ul-Athîr, cité dans WK pp. 90-91). Les Médinites trouvent la proposition judicieuse, et Marwân transmet donc leur réponse à Mu'âwiya. Mu'âwîya écrit alors de nouveau à Marwân et propose le nom de Yazîd, son fils, comme futur calife. Certains Compagnons tels que Abd ur-Rahmân ibn Abî Bakr, al-Hussein ibn Alî, Abdullâh ibn uz-Zubayr, Abdullâh ibn Omar, donnent alors un avis défavorable à cette proposition (WK p. 101) ; ils refusent de faire allégeance à Yazîd comme futur calife comme Mu'âwiya le leur demande (WK). Il y a donc divergence d'avis entre ces Compagnons.
Le point de vue de ces Compagnons Abd ur-Rahmân ibn Abî Bakr, al-Hussein ibn Alî, Abdullâh ibn uz-Zubayr, Abdullâh ibn Omar n'est pas que Yazîd serait un mauvais musulman (fâssiq) (comme certaines personnes l'ont dit plus tard), mais qu'il ne convient pas que celui que le calife actuel désigne comme son futur successeur soit son fils – et ce même s'il possède les capacités voulues – (WK p. 139, p. 137, p. 142). De plus Abdullâh ibn Omar est d'avis qu'en la présence de Compagnons, ce ne devrait pas être un homme n'étant pas Compagnon qui est proposé au poste califal (WK p. 142).
Quant à Mu'âwiya, il est sincère : il ne pense nullement nommer Yazîd parce qu'il est son fils : il pense sincèrement que c'est parce que Yazîd a les capacités voulues pour remplir la fonction de calife. Le prouve l'invocation qu'il fit en public un jour pendant son sermon : "O Dieu, si tu sais que j'ai désigné Yazîd parce qu'il possède à mon avis les capacités pour cela, accomplis ce pour quoi je l'ai désigné. Et si je l'ai désigné simplement parce que je l'aime, alors n'accomplis pas ce pour quoi je l'ai désigné" (Ibn Kathîr, cité dans WK p. 127).
Mu'âwiya était sincère, écrit as-Sanbhalî. Cependant, poursuit-il, il est possible d'avoir un avis divergent quant au fait que son choix ait été le meilleur possible (WK pp. 132-133, pp. 136-137). Il y a en effet divergence d'avis entre les ulémas au sujet de savoir si le calife a le droit de nommer son fils comme son successeur après lui (cf. MS 3/273). As-Sanbhalî suit donc tout à fait la voie sunnite : un Compagnon a fait un effort de réflexion (ijtihâd) ; d'autres Compagnons ont fait un effort de réflexion (ijtihâd) différent ; il est possible d'avoir un avis différent de celui du premier Compagnon (takhtia) en se fondant sur celui des autres Compagnons, mais jamais on ne dénigre le premier Compagnon (ta'n).
Malgré l'opposition des quatre Compagnons sus-cités, Mu'âwiya invite des délégations représentant les différentes villes de la terre musulmane à venir à Damas témoigner de leur acceptation du futur califat de Yazîd (WK pp. 102-108). Il fait ensuite lui-même le voyage au Hedjaz pour tenter de convaincre les Compagnons qui refusent de reconnaître Yazîd comme futur calife ; il leur parle ; ces personnages persistent cependant dans leur refus (WK pp. 109-124).
Le 15 rajab 60, Mu'âwiya décède. Avant de mourir il a laissé ses dernières recommandations à Yazîd ; parmi celles-il il y a le fait de garder à l'esprit le droit de al-Hussein et de reconnaître sa valeur (MS 2/324).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
Lire la suite de cet article : Entre Yazîd, Al-Hussein ibn Alî et Abdullâh ibn az-Zubayr
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Signification des sigles :
AMQ : Al-'Awâssim min al-qawâssim, Ibn ul-'Arabî
FB : Fat'h ul-bârî, Ibn Hajar
FMAN : Al-Fissal fi-l-milal wa-l-ahwâ' wa-n-nihal, Ibn Hazm
HB : Hujjat ullâh il-bâligha, Shâh Waliyyullâh
MF : Majmû' ul-fatâwâ, Ibn Taymiyya
MRH : Makânu ra's il-Hussein, Ibn Taymiyya
MS : Minhâj us-sunna an-nabawiyya, Ibn Taymiyya
ShAT : Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, Ibn Abil-'izz
WK : Wâqi'a-é Karbalâ' aur uss kâ pass manzar, eik na'é mutala'é kî rôshnî mein, Cheikh 'Atîq ur-Rahmân As-Sanbhalî.