En Egypte, les Frères musulmans s'inquiètent du risque de déchirement intercommunautaire
Le Caire, envoyée spéciale - Membre du Bureau d'orientation des Frères musulmans, l'ancien député Saad El-Hoseiny multiplie les citations de versets du Coran pour illustrer son propos : chrétiens et musulmans peuvent vivre en bonne intelligence en Egypte.
L'attentat contre une église copte d'Alexandrie dans la nuit de la Saint-Sylvestre est un "crime, rejeté par la religion et par la raison." Après avoir fermement condamné l'attaque, dès le 1er janvier, la première force d'opposition égyptienne, interdite en tant que parti politique mais relativement tolérée, s'est montrée plutôt discrète.
Les Frères musulmans sont ainsi restés à l'écart des vives polémiques qui agitent le pays. Ces dernières portent essentiellement sur la responsabilité des autorités quant à la faiblesse des mesures de sécurité adoptées autour de l'église des Deux-Saints d'Alexandrie.
Dans un document publié mercredi 5 janvier par le Bureau d'orientation, la plus haute instance politique de la confrérie, les Frères musulmans sortent de ce silence. Ils expriment leur inquiétude face au "danger" qui guette le pays : le déchirement intercommunautaire. Il faut, écrivent-ils, être attentifs "à ne pas tomber dans le piège tendu par les auteurs du crime, qui consisterait à accuser l'ensemble des musulmans de l'avoir commis".
Ils étayent également la thèse du "complot" derrière l'attaque, thèse qu'ils ont embrassée dès le lendemain de l'attentat. Ils insistent encore sur la proximité entre "gens du Livre".
IMAGE DE MODÉRATION À L'ÉGARD DES CHRÉTIENS
C'est là une priorité pour la confrérie, qui prône un islam politique : afficher une image de modération à l'égard des chrétiens, pour couper l'herbe sous le pied à ses critiques. Ces derniers l'accusent d'avoir participé à la radicalisation de la société musulmane égyptienne. "Les Frères musulmans se retrouvent dans une position très délicate. Ils sont accusés par l'Etat et par d'autres forces politiques de tenir des discours parfois discriminatoires ou violents à l'encontre des Coptes. Ils veulent être très attentifs, dans le contexte actuel, à gommer cette image", explique Diaa Rachwan, expert des mouvements islamistes au Centre Al-Ahram d'études politiques et stratégiques.
Alors que les tensions se sont cristallisées entre musulmans et chrétiens, depuis l'attentat, les Frères musulmans cherchent également à envoyer un message conciliant à l'attention des coptes, dont la majorité les regarde avec crainte ou hostilité. "La position des Frères musulmans envers les Coptes n'a pas changé, en quatre-vingt ans d'existence : elle se base sur le respect. Les chrétiens sont les fils de l'Egypte", plaide Saad el-Hoseiny.
"La question des coptes n'est pas prioritaire pour les Frères musulmans. Mais ils ne les ont jamais considérés comme des ennemis. Ils ont toujours cherché à promouvoir l'image d'une tolérance envers les coptes", estime le chercheur Diaa Rachwan.
MISE EN GARDE CONTRE "L'INGÉRENCE"
Exemple récent de cette ligne politique, les Frères musulmans avaient immédiatement pris position, après les menaces lancées contre l'Eglise copte, le 1er novembre 2010, par Etat islamique d'Irak, un groupe irakien affilié à Al-Qaida. Ils affirmaient que "la protection des lieux de culte de tous les enfants des religions monothéistes est de la mission de la majorité musulmane".
Une position que reprennent aujourd'hui les Frères musulmans. Ils mettent en garde, dans le même temps, contre "l'ingérence" que constitueraient des initiatives extérieures de soutien aux chrétiens d'Orient, évoquées en Europe après la vague d'indignation suscitée par l'attentat. L'appel lancé dimanche 2 janvier par le ministre italien des affaires étrangères, Franco Frattini, afin que l'Union européenne se saisisse du thème des violences et des discriminations contre les chrétiens dans le monde, ne passe pas.
"Pourquoi les leaders européens n'ont-ils pas jugé bon d'intervenir lors de la falsification des élections législatives égyptiennes de 2010 ? Et pourquoi réagissent-ils maintenant ?", s'emporte l'ancien député Saad El-Hoseiny. "C'est aux pays arabes que revient la responsabilité de garantir la sécurité des chrétiens [d'Orient]. Toute ingérence étrangère ne ferait qu'aggraver les relations sur le terrain."
Laure Stephan (Le Point)