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Les mou'tazilites
Leurs origines On considère souvent que le fondateur de ce mouvement rationaliste était Wâsil Ibn Atâ, qui, à l'origine, comptait parmi ceux qui assistaient aux assemblées d'enseignement de Hassan Al Basri (que Dieu lui fasse miséricorde). Une fois, alors que fut soulevée une question concernant le sort de celui qui, parmi les musulmans, commettait un péché majeur, il répondit que celui n'était plus croyant mais qu'il n'était pas incroyant non plus, et qu'il se trouvait en fait dans un statut intermédiaire C'est alors que Hassan (que Dieu lui fasse miséricorde) lui aurait dit: "Eloigne-toi de nous wâsil"; d'où le nom qui fut donnée aux partisans de Wâsil Ibn Atâ. Leurs déviations Mouvement sectaire ayant dévié de la voie des "Ahl ous Sounnah wal Djama'ah" sur un certain nombre de points en rapport avec la doctrine, comme par exemple celui du Taqdîr (prédestination)... il enseignait que la révélation divine était entièrement appréhendable par la raison humaine, et qui s'évertuait de manière absurde, au sens de la logique formelle, à appliquer les mécanismes de la pensée rationnelle à l'Essence et aux Attributs divins, et plus généralement à ce qui relève de la métaphysique supra-terrestre. Pour les Mu'tazilites, parler du Savoir, du Pouvoir, de la Volonté et de la Vie en tant qu'Attributs extrinsèques, éternels et incréés de Dieu reviendrait à associer ces Attributs à l'Essence divine. Or seule l'Essence divine étant éternelle et incréée, ceci impliquerait qu'on aurait affaire à des réalités extérieures à Dieu qui partageraient avec Lui l'Attribut de l'éternité, ce qui relèverait du polythéisme. Par conséquent, pour les Mu'tazilites, ces Attributs seraient intrinsèques à l'Essence divine et se confondraient avec elle dans une relation d'identité formelle. La doctrine classique, s'appuyant sur le Coran, affirme que Dieu est Savant en vertu d'un Savoir, qu'Il est Audient en vertu d'une Ouïe, qu'Il est Voyant en vertu d'une Vue, qu'Il est Puissant en vertu d'une Puissance. La position mu'tazilite vidait en revanche les Attributs de leur sens et disait que Dieu est Savant sans Savoir, Audient sans Ouïe, Voyant sans Vue, Puissant sans Puissance, mais qu'il était Savant par Essence, Audient par Essence, Voyant par Essence, Puissant par Essence. Au départ, ces assertions procédaient d'une crainte de sombrer dans l'anthropomorphisme (tAchbîh en arabe), mais progressivement, les Mu'tazilites tancèrent vers l'autre extrême et en vinrent à ôter à Dieu la signification de tous Ses Attributs, ce que l'on appelle le ta'tîl en arabe. L'Imâm Al-Ach'arî s'en tint quant à lui à la lettre et à l'esprit du Coran qui dit que Dieu possède un Savoir, une Ouïe, une Vue, une Puissance, mais exprima l'incapacité de la raison humaine à saisir en quoi consistent ce Savoir, cette Ouïe, cette Vue et cette Puissance. Rien ne ressemblant à Dieu, on ne peut appliquer les schèmes de notre pensée à l'Entité divine. Dieu possède donc ces Attributs parce qu'Il nous le dit, mais il ne nous est pas donné de connaître la quintessence de ces Attributs. Ainsi, il réfuta les thèses des Mu'tazilites qui soutenaient l'identité formelle entre les Attributs et l'Essence, tout comme il réfuta les thèses d'autres sectes qui soutenaient la relation d'altérité entre les Attributs et l'Essence. Pour bon nombre de ces doctrines, il existait une alternative unique : ou bien les Attributs sont l'Essence même ou bien ils sont autres que l'Essence. Cette alternative procédait de la logique humaine, donc limitée, du tiers exclu. Bien que s'appliquant parfaitement dans le monde des créatures, elle ne peut plus s'appliquer dès lors que l'on s'intéresse à Dieu. Car Dieu dépasse les relations formelles de l'identité et de l'altérité. C'est ce que démontra l'Imâm Al-Ach'arî qui soutint que les Attributs et l'Essence de Dieu ne sont liés entre eux ni par une relation d'identité ni par une relation d'altérité. ᅠla question de savoir quel genre de relation lie les deux, l'Ach'arisme répond que l'on ne sait pas et que la raison humaine est incapable de le savoir. Les Mu'tazilites soutenaient que l'homme dispose d'une totale liberté d'agir et qu'il est le propre créateur de ses actes, de sorte que Dieu ne prend connaissance des actes de l'homme qu'au moment de leur survenue. Leur argument était que dans le cas contraire, l'idée du Jugement dernier n'aurait plus aucun sens, puisque l'homme serait jugé pour des actes dont il ne serait pas responsable. Mais dans le même temps, la conclusion des Mu'tazilites induisait que Dieu ne détient pas un savoir absolu, puisqu'Il ne prendrait connaissance des actions des hommes qu'après-coup. La faille de ce raisonnement par l'absurde opéré par les Mu'tazilites était qu'ils partaient du postulat implicite selon lequel Dieu obéirait à la loi chronologique qui dit que le conséquent ne peut précéder l'antécédent. Ainsi, selon eux, Dieu ne connaîtrait les actions des hommes qu'après que celles-ci se sont effectivement réalisées. La conséquence de cette affirmation est en outre que ce sont les hommes qui créent leurs actions bonnes ou mauvaises, non Dieu. Ainsi, les Mu'tazilites soutenaient non seulement que Dieu n'était pas Savant de toute chose, mais également qu'Il n'était pas Créateur de toute chose. L'Imâm Al-Ach'arî réfuta cette idée et réaffirma la doctrine coranique selon laquelle la Science de Dieu embrasse toute chose passée et future, que Dieu est le Créateur de tout, y compris des actions bonnes et mauvaises, et que l'homme dispose d'une liberté de choix qui fait qu'il agira de telle ou telle manière, qu'il choisira telle bonne action créée par Dieu ou telle mauvaise action tout aussi créée par Dieu. Dieu échappant aux notions du temps et de l'espace dans lesquelles l'enfermaient implicitement les Mu'tazilites, Sa Connaissance éternelle des actions des hommes ne contredit en rien la liberté de choix relative de ces derniers. Par ailleurs, dire que Dieu est le Créateur des actions ne contredit en rien le fait que c'est bien l'homme qui prend le parti de commettre telle ou telle action. Leur évolution Récusée par la majorité des Musulmans, qui refusaient l'idée que Dieu puisse être rationnellement appréhendé, elle se diffusa de manière très restreinte. Cependant, elle fut soutenue par le Calife abbasside Al-Ma'mûn qui en fit la doctrine officielle de l'état islamique. Le Mu'tazilisme parvint ainsi au pouvoir. Persécutant ses adversaires, cette secte fut néanmoins sérieusement mise à mal par l'Imâm Ahmad Ibn Hanbal qui la disqualifia en refusant sous la torture d'accréditer les thèses qu'elle prêchait. Marginalisée, elle perdit le pouvoir mais continua à se propager parmi les populations musulmanes. Le coup de grâce final lui fut porté quelques années plus tard par Al-Ach'ari. L'Imâm Al-Khatîb Al-Baghdâdî qui écrit dans son Târîkh Baghdâd (Histoire de Bagdad) : « Les Mu'tazilites avaient levé la tête jusqu'au jour où Dieu fit apparaître Al-Ach'arî qui les relégua dans les profondeurs des abysses ». |
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