La grandiose harmonie (Du doute a la foi de Moustafa Mahmoud)
Cela s’est passé il y a quelques années de cela. Je n’oublierai jamais cette nuit-là. C’était au cours d’un voyage dans la brousse de l’Afrique tropicale. J’étais à bord d’un bateau qui remontait le Nil imposant et nous avions dépassé Malakal. Nous pénétrâmes alors dans une région infestée de moustiques où le Nil s’élargissait, formant des marécages à perte de vue. Nous voguions, pris dans une atmosphère étouffante et très humide. À bord, tous eurent leur crise de malaria, y compris le capitaine. Pour ma part, je prenais régulièrement des comprimés de Camoquine, en mesure préventive. Il me vint alors à l’esprit de monter sur le pont du bateau pour jouir des charmes de cette nuit passée sous les tropiques. Je m’enduisis le visage et les bras d’une lotion anti-moustiques et grimpai sur le pont. Un spectacle féerique s’offrit soudain à ma vue. J’aperçus des milliers d’arbres qui brillaient, puis s’éteignaient, comme des sapins de Noël qui s’illuminent par intermittence, à la grande joie des enfants, de milliers de petites ampoules électriques. Stupéfait, je me frottai les yeux, puis me remis à regarder. Ce que je voyais était bien une réalité et non un rêve. Effectivement, les arbres s’illuminaient, comme s’ils étaient recouverts de milliers de lampes. Puis ils s’éteignaient. Le capitaine du bateau m’informa que ce que j’avais vu cette nuit-là était bel et bien une réalité. Les arbres en question étaient recouverts de vers luisants qui brillaient tous ensemble pour attirer les moustiques et les manger. Puis ils s’éteignaient et se remettaient à briller. Telle est la loi de la nature : chaque fois que des insectes se multiplient au point d’être trop nombreux, Dieu en crée d’autres pour les combattre et les détruire. Ainsi est sauvegardée l’équilibre au sein de la création. Aucune créature n’en extermine une autre en vain. Cette nuit-là est restée gravée dans ma mémoire, de même que la conversation que j’eus alors. Chaque jour m’apporte un supplément de preuves que l’univers est réellement le théâtre d’une grandiose harmonie universelle. Chaque créature y tient la place précise qui a été décrétée pour elle. Si le globe terrestre avait une masse inférieure à celle qu’il a, la pesanteur y diminuerait. L’air se raréfierait et se perdrait dans le vide. L’eau se volatiliserait et la terre deviendrait semblable à la lune, une surface désolée, sans eau, ni air, ni atmosphère. La vie n’y serait plus possible. S’il avait par contre une masse supérieure à celle de maintenant, la pesanteur augmenterait. Il nous serait beaucoup plus pénible de nous mouvoir et notre poids croîtrait considérablement. Notre corps deviendrait un fardeau impossible à soulever. Si la terre tournait sur elle-même à une vitesse moindre, égale à celle de la lune par exemple, la longueur des jours et des nuits deviendrait quatorze fois plus grande. Toutes les deux semaines par conséquent, la température passerait d’une chaleur torride à un froid mortel, rendant impossible toute forme de vie. Si l’orbite de la rotation terrestre passait plus près du soleil, comme c’est le cas pour Vénus, nous ne pourrions résister à la chaleur. Si elle s’en éloignait, comme c’est le cas pour Saturne et Jupiter, nous péririons de froid. Nous savons par ailleurs que la terre effectue sa rotation en formant un angle de déclinaison de 33 degrés. De là naissent les saisons et c’est ce qui rend cultivables et habitables la plupart des régions terrestres. Si l’écorce terrestre était plus épaisse, elle absorberait l’oxygène et nous n’aurions plus la quantité suffisante de ce gaz précieux pour respirer. Si les mers étaient plus profondes, les eaux en surplus absorberaient le CO² nécessaire à la vie et à la respiration des plantes. Si la couche atmosphérique était moins épaisse, les météores et les étoiles filantes fondraient sur nous au lieu de se désintégrer, comme c’est le cas, en traversant l’atmosphère. Si la proportion d’oxygène dans l’atmosphère était plus importante qu’elle n’est, les risques d’incendie seraient accrus. L’incendie le plus bénin se transformerait en une terrible déflagration. Et si cette proportion diminuait, nous serions apathiques. Si la glace n’avait pas une densité inférieure à celle de l’eau, elle ne flotterait pas en surface. Elle ne pourrait donc retenir la chaleur des fonds marins sans laquelle la vie, celle des poissons notamment, ne serait pas possible. Sans la protection de l’ozone qui est épars dans l’atmosphère et qui ne laisse filtrer qu’une faible proportion de rayons ultraviolets, ces rayons seraient mortels pour nous. Si nous en venons maintenant à l’anatomie du corps humain, nous y constatons une harmonie minutieuse qui n’a pas fini de nous émerveiller et de nous étonner. Dans le sang, par exemple, chaque élément a une proportion et une quantité bien déterminées : sodium, potassium, calcium, sucre, cholestérol, urée… Au cas où intervient la moindre déficience, si minime soit-elle, dans ces proportions, c’est la paralysie, puis la mort. Le corps est armé de dispositifs qui agissent automatiquement pour sauvegarder cet équilibre, la vie durant. Pour être préservées, l’alcalinité du sang et l’acidité de l’urine sont soumises à des doses bien précises. La température normale du corps humain est de 33 degrés centigrades. Des réactions physiologiques et chimiques ont pour fonction de la maintenir régulière et stable à ce niveau. Il en est de même pour la pression sanguine, la tension musculaire, les pulsations cardiaques, l’alternance de l’inspiration et de l’expiration, la régulation de la combustion chimique dans le foie, l’équilibre nerveux ente les systèmes sympathique et parasympathique, la régulation opérée par les hormones et les enzymes dans l’accélération ou le ralentissement des réactions chimiques vitales. Ce chef-d’œuvre d’équilibre, de coordination et d’harmonie, tout médecin en a connaissance, ainsi que quiconque étudie la physiologie, l’anatomie et la chimie organique. « Dieu a créé toute chose en fixant de manière immuable son destin. » (Coran : 25, 2) Nous n’en finirions pas de donner des exemples empruntés à la botanique, à la zoologie, à la médecine ou à l’astronomie. Des livres entiers seraient à citer et chaque page apporterait une confirmation de la minutieuse harmonie et de la merveilleuse précision qui règnent au sein du monde créé. Ne voir en cet ordre harmonieux que le fruit du hasard serait faire preuve ni plus ni moins de simplisme, comme si l’on prétendait, par exemple, qu’une explosion dans une imprimerie pouvait disposer les caractères typographiques de telle façon qu’il en résulte la composition d’un dictionnaire rigoureusement exact. Le chimiste qui a déclaré : « Donnez-moi les conditions atmosphériques, l’eau, le limon et les circonstances d’où est issue pour la première fois la vie, et je vous fabriquerai un homme ! », ce chimiste a reconnu par là même qu’il ne disposait pas des éléments et des circonstances nécessaires. Il avouait ainsi son incapacité à imiter l’œuvre du Créateur qui fut l’auteur à la fois de la créature et des circonstances de son apparition. Si nous procurions audit chimiste tout ce dont il a besoin, et à supposer par impossible qu’il réussisse à créer un être humain, il ne dirait pas : « Cet homme est le résultat du hasard », mais bien : « C’est moi qui l’ai créé ! » On a prétendu qu’un singe, installé devant une machine à écrire pendant un temps illimité pour y composer une infinité de possibilités, en arriverait bien un jour, par hasard, à reproduire un vers de Shakespeare ou une phrase qui ait un sens. Mais une telle hypothèse est irrecevable. Supposons, par impossible, qu’après des millions d’échanges et de combinaisons entre les éléments existant dans la nature, une certaine quantité d’acides nucléiques ADN, se renouvelant spontanément, ait pu se former par un pur hasard dans les eaux marécageuses, comment expliquer alors que cette quantité d’acides organiques ait évolué pour aboutir à la vie que nous connaissons ? Il faudrait à nouveau invoquer le hasard pour expliquer la formation du protoplasme. Et ce serait encore par pur hasard que la cellule se serait formée et ensuite scindée en deux catégories : la cellule végétale et la cellule animale. Degré par degré, nous remonterions l’arbre de la vie grâce à cette solution miracle. Chaque fois que nous serions dans l’impasse pour expliquer quelque chose, nous dirions : « Cela s’est produit par hasard ! » Mais est-ce raisonnable ? Est-ce par hasard que le poussin, au moment de l’éclosion, brise la coquille de l’œuf dès qu’y apparaît le moindre trou ? Est-ce par hasard que les lèvres des plaies se referment et se cicatrisent d’elles-mêmes, sans l’intervention d’un chirurgien ? Est-ce par hasard que l’héliotrope se tourne vers le soleil qui est, pour lui, source de vie ? Est-ce par hasard que les arbres désertiques fabriquent des ailes aux graines qu’ils produisent pour permettre à celles-ci de franchir les déserts en quête de meilleures conditions de germination et d’irrigation ? Est-ce par hasard que les plantes ont découvert leur bombe verte - la chlorophylle- et qu’elles s’en servent pour créer l’énergie dont elles ont besoin pour vivre ? Est-ce par hasard que les moustiques, sans l’aide d’Archimède, munissent leurs œufs de pochettes d’air pour leur permettre de flotter sur l’eau ? Et les abeilles qui vivent en société organisée et appliquent les règles de l’architecture et les subtilités de la chimie pour transformer leur nectar en miel et en cire ? Et les termites qui ont découvert les premiers principes de l’air conditionné pour leurs nids et qui appliquent, dans leur société, un rigoureux système de classes ? Et les insectes aux couleurs voyantes qui ont découvert les principes et l’art du maquillage pour se déguiser et se camoufler ? Tout cela est-il le fruit du hasard ? L’admettrions-nous dans un cas, au point de départ, comment la raison pourrait-elle accepter une chaîne sans fin d’effets purement accidentels d’un obscur hasard ? Ce serait faire montre d’une naïveté que l’on rencontre uniquement dans de vulgaires films comiques. La pensée matérialiste s’est elle-même retrouvée dans une impasse face à une telle représentation simpliste. Elle a commencé à se libérer du terme "hasard" pour lancer une autre hypothèse. Elle a prétendu que la vie, déconcertante dans ses différentes formes et ramifications, serait partie d’un état de nécessité, semblable à celle qui vous pousse à manger quand vous ressentez la faim. Puis la nécessité serait devenue plus complexe avec la complexité des circonstances, des milieux ambiants et des besoins. De là seraient apparues toutes les formes de vie. Cela revient à jouer sur les mots. Les matérialistes ont remplacé le hasard par une nécessité qui, selon eux, devient spontanément de plus en plus complexe, tout comme une mélodie évoluerait spontanément en symphonie. Mais comment ? Comment une simple nouvelle évoluerait-elle en un récit solidement charpenté sans l’intelligence d’un écrivain ? Et qui est au point de départ de la nécessité ? Comment le nécessaire proviendrait-il du non-nécessaire ? La mauvaise volonté et la raison présomptueuse sont poussées dans leurs derniers retranchements si elles persistent à se fermer à la voix de la nature, laquelle ne cesse de s’imposer, affirmant l’existence d’un Créateur présidant à la création. Dieu est la main directrice, le maestro qui conduit ce merveilleux concerto. Manifestation d’un équilibre grandiose et d’une majestueuse harmonie, chef-d’œuvre de cohésion et de régularité dans l’infinité des minutieux détails dont il se compose, l’univers entier crie l’existence du Créateur de telles merveilles : un Dieu Tout-Puissant et infiniment Parfait qui est proche de ses créatures comme l’est le sang qui coule dans leurs veines. Il prend soin d’elles, tel un Père plein de tendresse. Il répond à leurs besoins, écoute leurs plaintes et est attentif à leur sort. Il est celui que les religions décrivent à l’aide des Beaux-Noms, et nul autre. Ce Dieu-là n’a rien à voir avec la loi inexorable qu’avance les sciences de la matière. Il n’est pas le Dieu solitaire d’Aristote, ni le Dieu platonicien trônant dans le monde des Idées, ni cet Être matériel et universel qu’ont imaginé Spinoza ou les adeptes de l’unicité de l’être. Il est l’Unique, qui n’a pas son semblable. Il dépasse tout ce que nous pouvons penser ou imaginer. Il transcende le temps et l’espace. Manifeste dans ses Œuvres, Il demeure caché dans son Essence. Aucun regard ne l’atteint, mais Lui-même voit tous les regards. C’est même par Lui que nous voyons, éclairés par sa Lumière et l’énergie qu’Il a déposée en nous. L’esprit scientifique n’admet pas semblable langage mystique. Il veut voir Dieu pour confesser son existence. Si nous admettons que Dieu n’est pas limité et donc qu’Il ne peut tomber sous le regard, si nous affirmons de Lui qu’Il est l’Infini, le Mystère, la science nous rétorque que c’est précisément pour cette raison qu’elle ne Le reconnaît pas, que la foi au mystère n’est pas de son ressort et que son domaine de compétences commence au sensible pour finir au sensible, sans plus. Nous répondons alors à la science qu’elle ment ! Car la science elle-même est maintenant pour moitié liée au mystère. Elle observe et enregistre ses observations. Elle constate, par exemple, qu’escalader une montagne est plus pénible qu’en descendre, que porter une pierre sur le dos est plus difficile que soulever un caillou, qu’un oiseau mort s’abat sur le sol comme une pomme tombe de l’arbre, que la lune, suspendue dans le ciel, est animée d’un mouvement de rotation. Aucune relation n’apparaît entre les précédentes observations. Et pourtant, à la lumière de la loi de la gravitation universelle découverte par Newton, l’unité devient évidente entre elles. La chute de la pomme, la difficulté d’escalader une montagne ou de soulever une pierre, la stabilité de la lune sur son orbite, tous ces phénomènes sont autant de manifestations de la loi de gravitation. Cette théorie, certes, nous explique les faits. Il n’en reste pas moins vrai que la gravitation est un mystère dont personne ne connaît la nature exacte. Personne n’a vu les colonnes qui soutiennent les cieux et les astres qu’ils contiennent. Newton en personne, qui était pourtant l’inventeur de la théorie, déclarait dans une lettre adressée à son ami Bentley : « C’est incompréhensible ! Comment peut-on trouver un corps insensible et sans vie qui influe sur un autre corps au moyen de l’attraction, bien qu’il n’existe entre eux aucune relation ? » Voici donc une théorie que nous transmettons, en laquelle nous croyons et que nous considérons comme scientifique. Et il se trouve qu’elle n’est que mystère. Et l’électron ? Et les ondes radio ? Et l’atome ? Et le neutron ? Nous n’en avons jamais rien vu. Et cependant, nous croyons qu’ils existent, uniquement parce que nous constatons leurs effets. À partir de ces effets, nous élaborons des sciences hautement spécialisées et, pour les étudier, nous construisons des laboratoires. Et pourtant, ces réalités constituent pour nous, pour nos sens, un mystère total. La science n’est parvenue à connaître la substance d’aucune chose. Absolument aucune. Nous ne connaissons que des noms, en ignorant ce qu’ils recouvrent. Nous échangeons des termes techniques sans savoir ce qu’ils représentent en fait. Lorsque Dieu a instruit Adam, Il ne lui a appris que des noms, sans lui en révéler le contenu. « Il a appris à Adam le nom de tous les êtres. » (Coran : 2, 31) Telles sont les limites de la science. Quiconque aspire à la science cherche à découvrir des rapports, des mesures… Mais il ne peut absolument pas saisir l’essence, la substance ou la nature des objets de sa recherche. Il se familiarise avec ces objets, mais toujours selon leurs apparences et tels qu’il les perçoit de l’extérieur. Bien qu’il soit, grâce aux théories, au contact immédiat de la substance secrète des choses, il doit se contenter de pures hypothèses, de représentations de questions qui restent, pour les instruments qu’il utilise, purement mystérieuses et conjecturales. Le mystère a sa place dans la science de notre époque, une science qui erre dans le labyrinthe des hypothèses. Après avoir été inondée de mystères, la science ne peut plus maintenant se révolter contre eux. Il est donc mieux pour nous de croire en Celui qui connaît le mystère, le Créateur Bon et Généreux, Lui dont nous voyons la trace pour peu que nous sachions ouvrir les yeux, écouter la moindre pulsation de notre cœur ou faire place à la contemplation. C’est pour nous plus honorable que de nous perdre dans les hypothèses. |
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