La péninsule arabe
LA PÉNINSULE ARABE L’Arabie est la plus vaste péninsule que l’on retrouve sur la carte du monde. Les Arabes l’appellent Jazirat oul‑Arab, 1 ce qui signifie « l’île d’Arabie », bien qu’elle ne soit pas une île à proprement parler, puisqu’elle n’est entourée d’eau que sur trois côtés. Se trouvant au sud-ouest de l’Asie, le Golfe Arabe (ou Golfe Persique, tel que l’ont nommé les Grecs) se situe à l’est de la péninsule ; l’Océan Indien se trouve au sud alors qu’à l’ouest, est sise la Mer Rouge, que les Latins et les Grecs appelaient Sinus Arabicus (ou Golfe Arabe) et que les anciens Arabes appelaient Bahr Qulzum. La frontière nord n’est pas très bien définie, mais on peut la concevoir comme une ligne imaginaire tracée en direction de l’est à partir du sommet du golfe d’Aqaba, sur la Mer Rouge, jusqu’à l’embouchure de l’Euphrate. Les géographes musulmans ont divisé la péninsule en cinq grandes régions : (1) Le Hijaz, qui s’étend de Aila (al-‘Aqabah) jusqu’au Yémen. Il a été ainsi nommé parce que la chaîne de montagnes qui s’étend parallèlement à la côte ouest sépare la basse région côtière du Tihama de la région du Najd. (2) Le Tihama, situé à l’intérieur de la chaîne de montagnes, est un plateau qui s’étend jusqu’aux contreforts. (3) Le Yémen, au sud du Hijaz, occupe la région sud-ouest. (4) Le Najd, plateau central nord, s’étend des chaînes de montagnes du Hijaz, à l’ouest, au désert de Bahrain à l’est, et comprend un certain nombre de déserts et de chaînes de montagnes. (5) ‘Aruz, qui est limité par Bahrain à l’est et par le Hijaz à l’ouest. Se trouvant entre le Yémen et le Najd, il était aussi connu sous le nom de Yamamah. 1 LE PAYS ET SON PEUPLE Les neuf dixièmes de l’Arabie, l’un des plus secs et des plus chauds pays du monde, sont recouverts de désert. Les caractéristiques géologiques et physiques de ce pays, ainsi que ses conditions climatiques, ont contribué, par le passé comme de nos jours, à limiter la croissance de sa population et à entraver l’expansion d’empires et de communautés dotées d’une civilisation complexe. La vie nomade des tribus du désert, leur farouche individualisme et les perpétuelles luttes tribales ont eut pour effet de confiner les populations aux régions où les averses sont plus fréquentes ou aux endroits où l’eau est disponible sous forme de sources ou d’étangs ou du moins où elle se trouve proche de la surface de la terre (les Bédouins ont l’habitude de creuser des puits très profonds). Le mode de vie, en Arabie, était en quelque sorte dicté par la disponibilité de l’eau ; les tribus nomades voyageaient constamment à travers le désert, en quête d’eau potable. N’étant pas attachées aux terres comme pouvaient l’être ceux qui les labouraient, les tribus nomades s’arrêtaient là où le sol était verdoyant et elles y restaient tant qu’elles pouvaient y faire paître leurs troupeaux de moutons, de chèvres et de chameaux, après quoi elles levaient le camp et partaient à la recherche de nouveaux pâturages. La vie, dans le désert, était dure et pleine de dangers. Le bédouin se sentait obligé envers sa famille et son clan, de qui dépendait son existence dans l’aride désert ; la loyauté envers la tribu signifiait pour lui la même alliance à vie que d’autres pouvaient ressentir pour leur nation ou leur pays. Sa vie était instable et vagabonde ; il ne connaissait ni facilité ni confort et ne comprenait que le langage du pouvoir et de la force. Il ne connaissait aucun code moral, aucune sanction légale ou religieuse, rien à part le traditionnel sentiment d’honneur qu’il ressentait envers lui-même et sa tribu. Bref, il menait une vie qui ne pouvait que lui apporter épreuves et souffrances, et qui mettait en danger les populations sédentaires qui l’entouraient. Les tribus du désert d’Arabie étaient en perpétuel conflit les unes avec les autres et avaient pour habitude de faire régulièrement des incursions parmi les populations établies autour d’elles. Cependant, les Arabes faisaient preuve d’une loyauté sans limites envers leur tribu et leurs traditions, étaient magnanimement hospitaliers, honoraient les traités, faisaient de fidèles amis et satisfaisaient consciencieusement à leurs obligations envers leur tribu. Tous ces traits du caractère arabe sont amplement illustrés par leur élégante littérature, tant en prose qu’en poésie, ainsi que par leurs proverbes, leurs métaphores, leurs comparaisons et leurs fables. L’Arabe de cette époque était un démocrate-né, il était individualiste et tenait à sa liberté, il avait l’esprit pratique et était des plus réalistes. Il était également très actif, simple et sérieux, et refusait de faire quoi que ce soit qu’il jugeait vulgaire ou indécent. Non seulement était-il entièrement satisfait de sa vie nomade et du peu d’exigences qu’elle engendrait, il était également fier de son existence migratoire car elle répondait à son ardent désir de liberté. Bien qu’il fût entièrement fidèle aux traditions anciennes de sa tribu, la spiritualité le laissait tiède. Les vertus fondamentales de l’Arabe, c’est-à-dire le courage, la loyauté et la générosité, puisaient leur source du concept de mourauwah (virilité) ; et jamais l’Arabe ne se lassait d’en chanter les louanges dans ses odes et ses discours. CENTRES CULTURELS Aux endroits où soit les pluies périodiques étaient suffisantes, soit l’eau était disponible sous forme de sources ou de puits, des villages se développaient ou alors les nomades s’y rassemblaient au moment des foires et des festivals saisonniers. Bien que ces rassemblements eussent une influence sociale sur la vie des bédouins, les fermes agricoles reflétaient chacune leurs caractéristiques propres, tout dépendant des conditions climatiques et économiques, ainsi que des caractéristiques professionnelles des populations sédentaires. C’est ainsi que la Mecque connut un développement culturel particulier, alors que d’autres endroits tels Yathrib et Hira développèrent leurs propres caractéristiques culturelles. Le Yémen était la région du pays la plus développée culturellement grâce à sa longue histoire et aux développements politiques qui y avaient eu lieu. Et grâce à un climat propice, sa culture de céréales, son élevage, son exploitation des minéraux et sa construction de forts et de palais avaient pris une rapide expansion. Le Yémen entretenait des relations commerciales avec l’Irak, la Syrie et l’Afrique et importait régulièrement divers produits. DIVISIONS ETHNIQUES Les historiens arabes, ainsi que de vieilles traditions orales, affirment que les peuples d’Arabie peuvent être divisés en trois grandes catégories. La première était constituée de ‘Arab Ba’idah (Arabes disparus) qui ont peuplé le pays au départ, mais qui ont cessé d’exister avant la venue de l’islam. La seconde est constituée de ‘Arab ‘Ar’ibah (Arabes de pure souche) ou Banou Qahtan, qui ont remplacé les ‘Arab Ba’idah. Enfin, les ‘Arab Must’arabah (Arabes arabisés), ou la progéniture d’Ismaël établie dans le Hijaz, constituent la troisième catégorie. La ligne de démarcation tracée selon les divisions raciales de la souche arabe fait une distinction entre ceux qui descendent de Qahtan et ceux qui descendent de ‘Adnan ; on croit que les premiers sont yéménites (ou Arabes du Sud), alors que les seconds sont ceux qui se sont établis dans le Hijaz. En outre, les généalogistes arabes divisent les ‘Adnan en deux sous-groupes : les Rabi’a et les Moudar. Depuis fort longtemps, il y a toujours eu une rivalité manifeste entre les Qahtan et les ‘Adnan d’une part, de même qu’entre les Rabi’a et les Moudar au sein même des Adnan. Cependant, les historiens ont établi l’origine des Qahtan à un passé encore plus lointain où les ‘Adnan auraient en quelque sorte bifurqué de la lignée1 ; c’est d’ailleurs des Qahtan qu’ils auraient appris l’arabe vernaculaire. On affirme que les ‘Adnan constituaient la progéniture d’Ismaël établie dans le Hijaz après sa naturalisation. Les généalogistes arabes accordent beaucoup d’importance à ces classifications raciales, ce que confirme d’ailleurs l’attitude du Général iranien Roustam dans l’incident qui suit : on rapporte que le Général Roustam avait réprimandé certains de ses courtisans qui avaient tourné en ridicule Moughira bin Shou’ba et l’avaient regardé de haut parce qu’il s’était présenté à eux en tant qu’envoyé des musulmans habillé de loques. Roustam dit à ses conseillers : « Ce que vous êtes idiots ! Les Arabes accordent très peu d’importance aux vêtements et à la nourriture, mais font très attention à la lignée et à la famille. » 2. L'UNITÉ LINGUISTIQUE Il n’y aurait pas eu lieu de s’étonner d’une multiplicité de langues et de dialectes dans un pays aussi vaste que l’Arabie (aussi grand, en fait, qu’un sous-continent), divisé nord-sud non seulement pas le désert dénué de tout chemin praticable, mais aussi par les rivalités de races apparentées et par une passion pour l’esprit de clan et un chauvinisme tribal qui laissent peu de chance à la multi-ethnicité et à l’unification de tous ces peuples. Les tribus vivant près des frontières iranienne et byzantine étaient, naturellement, plus exposées aux influences étrangères. De nombreux facteurs ont contribué à la naissance d’une diversité de langues en Europe et dans le sous-continent indien. En Inde seulement, en dépit du fait que quinze langues soient officiellement reconnues par la Constitution, il y a encore des gens qui se voient obligés de s’exprimer dans une langue autre que leur langue maternelle ou qui ont recours à l’anglais pour se faire comprendre de leurs compatriotes. Mais, en dépit de sa grandeur considérable et de la prolifération des tribus sur son sol, il y a toujours eu, depuis la venue de l’islam, une seule et unique langue commune dans la péninsule arabe. L’arabe est la langue véhiculaire des bédouins du désert comme des populations sédentaires, telles les Qahtan et les ‘Adnan. Des variations locales au niveau des dialectes de plusieurs régions dues à des différences de tons et d’accents, aux distances et à la diversité des conditions physiques et géographiques étaient inévitables, mais il y a toujours eu une uniformité linguistique qui a contribué à ce que le Coran soit facilement compris de tous. Cette unité linguistique a également aidé à la rapide diffusion de l’islam à toutes les tribus d’Arabie. L'ARABIE DANS L'HISTOIRE ANTIQUE Des fouilles archéologiques ont démontré que des humains avaient habité l’Arabie au tout début de l’âge de pierre. Ces vestiges datent de la période abbevillienne de l’époque paléolithique. Le peuple d’Arabie dont il est fait mention dans l’Ancien Testament nous éclaire sur les relations entre les Arabes et les anciens Hébreux entre 750 et 200 avant Jésus-Christ. Le Talmud fait également référence aux Arabes. Josephus (37 – 100) fournit de précieux détails historiques et géographiques au sujet des Arabes et des Nabatéens1. Il existe de nombreux autres ouvrages grecs et latins de la période pré-islamique dans lesquels sont énumérées les tribus vivant dans la péninsule et qui apportent des détails sur leur location géographique et leur histoire. Ces ouvrages, en dépit des erreurs et des inconsistances qu’ils contiennent, constituent d’inestimables sources d’informations sur l’Arabie antique. L’Alexandrie était aussi un des centres commerciaux importants de l’antiquité qui avaient pris un vif intérêt à recueillir des informations sur l’Arabie ainsi que sur ses peuples et sur les produits qu’ils commercialisaient. Les premiers écrivains classiques grecs à faire allusion aux Arabes dans leurs œuvres sont Eschyle (525 – 465 av. J.-C.) et Hérodote (484 – 425 av. J.-C.). Par la suite, plusieurs autres auteurs de la période classique ont fait des récits sur l’Arabie et ses habitants. Parmi eux, Claude Ptolémée, né à Alexandrie, était un éminent géographe du deuxième siècle de notre ère dont l’Almageste occupa une place importante dans le programme des écoles arabes. On retrouve également de nombreux détails sur l’Arabie pré-islamique et celle des débuts de l’islam dans des ouvrages chrétiens, bien que ces derniers eussent été rédigés, à l’origine, pour faire comprendre la chrétienté et décrire ses activités missionnaires en Arabie. Les « Arabes » 2, auxquels l’Ancien Testament fait plusieurs fois référence, sont synonymes de tribus nomades d’Arabie puisque le mot signifie « désert » en langue sémitique. De plus, les caractéristiques des gens qui y sont décrits s’appliquent parfaitement aux bédouins. De même, les Arabes mentionnés dans les écrits grecs et romains comme dans le Nouveau-Testament sont les bédouins qui étaient connus pour s’adonner à de fréquents pillages dans les villes frontalières de l’empire byzantin, pour dépouiller les caravanes et charger des tarifs exorbitants aux commerçants et aux voyageurs qui passaient par leurs territoires. Diodore de Sicile, historien grec né à Agyrion, en Sicile, dans la deuxième moitié du premier siècle av. J.-C., écrivait que « les Arabes ne comptent que sur eux-mêmes et sont très attachés à leur indépendance, aimant vivre en plein air dans le désert et attachant une très grande valeur à leur liberté» 1. Hérodote a d’ailleurs fait une remarque similaire à leur égard : « Ils se révoltent contre toute autorité », écrit-il, « qui cherche à contrôler leur liberté ou à les rabaisser.» 2. Presque tous les écrivains grecs et latins ont admiré l’attachement passionné des Arabes à leur liberté personnelle. Les relations commerciales et culturelles des Arabes avec l’Inde ont commencé longtemps avant l’apparition de l’islam et de sa conquête de plusieurs parties de l’Inde. Des études contemporaines ont démontré que de tous les pays asiatiques, c’est l’Inde qui était la plus proche de l’Arabie et qui la connaissait le mieux. 3 LES RELIGIONS RÉVÉLÉES AVANT L'ISLAM, EN ARABIE L’Arabie avait jadis été le lieu de naissance de plusieurs prophètes de Dieu. Le Coran dit : « Et rappelle-toi (Ô Mohammed) le frère des Aad (Houd) quand il avertit son peuple à Al-Ahqaf – alors qu’avant et après lui, des avertisseurs sont passés – en disant : « N’adorez qu’Allah. Je crains pour vous le châtiment d’un jour terrible. » (Coran, 46:21) Le prophète Houd1 avait été envoyé aux A’ad, un peuple qui, selon les historiens, appartenait aux ‘Arab Ba’idah qui vivaient dans une vaste étendue désertique de sable blanc ou rougeâtre formant des dunes et couvrant une grande région au sud-ouest de al-Rabe al-Khali (région inoccupée) près de Hadramaut. Aujourd’hui, il n’y a aucune habitation dans cette région, pas plus que le moindre souffle de vie, mais c’était autrefois une terre verdoyante où l’on retrouvait des villes florissantes habitées de personnes de force incroyable et de stature gigantesque. La région tout entière fut par la suite anéantie par un vent effroyable et rugissant qui la couvrit de dunes de sable. Le verset coranique cité ci-haut démontre que le prophète Houd n’est pas le seul messager d’Allah à avoir été envoyé aux anciens Arabes de cette région, car « avant et après lui, des avertisseurs étaient passés ». Salih2 est un autre prophète arabe envoyé à un peuple qu’on appelait Thamud et qui vivait à al-Hijr, situé entre Tabuk et Hijaz. Le prophète Ismaël a été élevé à la Mecque et est mort dans la même ville. Si nous reculions les frontières nord de la péninsule arabe pour y inclure Midian, aux limites de la Syrie, le prophète Shu’yeb (identifié à Jethro) pourrait également être considéré comme un prophète arabe. L’historien Aboul Fida affirme que les Midianites étaient arabes, vivant à Midian, près de Ma’an, ville voisine de la Mer Morte, en Syrie, à la frontière du Hijaz. Les Midianites ont prospéré après la chute du peuple de Lot. L’Arabie antique fut le berceau de nombreux peuples civilisés et prospères à qui Dieu envoya Ses prophètes. Mais tous ces peuples furent soit anéantis à cause de leurs péchés, soit forcés de trouver une terre d’accueil après être devenus de véritables étrangers dans leur propre pays. Certains prophètes de Dieu, nés dans des contrées éloignées, durent chercher refuge en Arabie contre les rois despotiques de leur pays. Ibrahim (Abraham) dû émigrer à la Mecque et Moussa (Moïse) dû fuir à Midian. Des fidèles d’autres religions durent également chercher refuge en Arabie. Lorsqu’ils furent persécutés par les Romains, les Juifs s’installèrent au Yémen et à Yathrib, tandis que plusieurs sectes chrétiennes, harcelées par les empereurs byzantins, émigrèrent à Najran. 1 1 Ce mot est utilisé depuis des temps fort reculés parce qu’à l’époque on ne faisait aucune distinction entre une péninsule et une île et le même mot était utilisé pour désigner les deux. 1 Cette division géographique du pays est attribuée à ‘Abdoullah b. ‘Abbas. 1 Certains experts contemporains soutiennent que les ‘Adnan sont les véritables‘Arab ‘Aribah. Ceux qui sont en désaccord avec cette thèse avancent que la division faite par les premiers historiens est basée sur la souche yéménite après l’avènement de l’islam et non avant. 2 Ibn Kathir, AL-Bidayah Wan-Nihayah, Vol. VIII, p. 40. 1 Surtout dans Jewish Antiquities, ed. S.A. Naber , Leipzig, 1888 2 Isaïe. 21: 13, 13:20 et Jérémie. 3:2 1 Bibliotheca Historica, Volume II, chapitres. 1, & 5. 2 Heordus, History, Volume III, chapitre. 88. 3 Pour plus de détails, voir Arab our Hind ke T’aluqat par S. Soulaiman Nadwi. 1 Que certains identifient à Éhud, dans la Bible (Juges iv-l). 2 Certains l’identifient à Shélah (Genèse, xi-13). 1 Pour plus de détails, voir le vol. I de Kathim-oun-Nabiyin par Sheikh Mohammed Abou Zouhra. |
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