2-4 : Les règles de la compagnie, de la fraternité, de la cohabitation avec les créatures
Introduction Sache que la familiarité est le fruit du bon caractère et que l’hostilité relève du mauvais caractère, parce que le bon caractère favorise les affinités et la concorde et le mauvais caractère favorise les ressentiments et la haine. Du reste, la vertu que recèle le bon caractère n’échappe à personne et il existe de nombreux Hadîth qui l’atteste. En effet, on rapporte, d’après le Hadîth transmis par Abû l-Dardâ que le Prophète - صَلَّى الله عَلَيْهِ وَ سَلَّمَ - a dit : « Rien n’est plus lourd dans la balance du croyant au Jour de la Résurrection que le bon caractère ». (Hadîth recensé et confirmé par Tirmidhi). Il est dit dans un autre Hadîth : « Ceux d’entre vous qui me sont chers et qui seront proches de moi au Jour de la Résurrection sont ceux qui ont le meilleur caractère. Et ceux d’entre vous qui me sont détestables et qui selon les plus éloignés de moi au Jour de la résurrection sont ceux qui ont le plus mauvais caractère ». On a également interrogé le Prophète - صَلَّى الله عَلَيْهِ وَ سَلَّمَ - sur ce qui fait entrer les gens au Paradis et il a répondu ceci : « C’est la crainte révérencielle de Dieu et le bon caractère ». S’agissant de l’amour pour Dieu - عز و جل -, il est rapporté dans les deux recueils Authentiques ; d’apres le Hadîth transmis par Abû Hurayra, que le Prophete - صَلَّى الله عَلَيْهِ وَ سَلَّمَ - a dit : « Il y a sept genre d’hommes que Dieu abritera sous Son ombre le jour où il n’y aura d’autres ombres que la Sienne… » et il a mentionné le cas de « deux hommes qui se sont aimés pour Dieu : se rassemblant et se quittant autour de cela. » Dans un autre Hadîth, Dieu - عز و جل - dit : « Mon amour s’impose pour ceux qui s’aiment en Moi. Mon amour s’impose a ceux qui dépensent pour Moi. Mon amour s’impose pou ceux qui s’échangent les visites pour Moi. » Il est dit dans un autre Hadîth : »Le nœud le plus solide de la foi consiste à s’aimer en Dieu et à se détester en Dieu. » Sache que celui qui aime en Dieu déteste en Dieu. En effet lorsque tu aimes un homme parce qu’il obéit à Dieu tu le détestes en Dieu s’il désobéit. Ceci parce que celui qui aime pour une raison déteste s’il existe son contraire. De même que celui qui a des bonnes et des mauvaises qualités, tu l’aimerais sous un rapport et tu le détesteras sous un autre. Ainsi il convient que tu aimes le musulman pour son Islâm et que tu le détestes en raison de sa désobéissance. De ce fait tu adopteras à son égard une attitude médiane entre l’hostilité et la détente. Quant à ce qui émane de lui comme trébuchement, dont on sait qu’il regrette, il convient de fermer les yeux sur lui et de le couvrir. S’il persiste dans sa désobéissance, il faudra manifester des marques d’hostilités en se détournant et en s’éloignant de lui et en lui adressant des propos dont la dureté se mesure a la gravité et a la légèreté de sa désobéissance. Sache également que celui qui s’oppose a l’Ordre de Dieu - عز و جل - relève de l’une de ces catégories : La première : il peut être un mécréant. S’il s’agit d’un combattant, il mérite d’être tué ou réduit à la servitude, et il n’y pas d’humiliation plus pesante que ce genre de cas ; s’il s’agit d’un membre d’une communauté de gens du livre, qui vit en terre d’Islâm, on ne doit pas lui nuire, mais simplement se détourner de lui, le mépriser et s’abstenir de commencer par le saluer, et s’il salue on lui répondra en disant : « et sur toi aussi le salut ». Il convient cependant de cesser de le fréquenter, de traiter avec lui et de manger avec lui à sa table, et il est répréhensible de se réjouir avec lui et de le recevoir comme on le fait avec des amis intimes. La deuxième, il peut être un innovateur. S’il s’agit de quelqu’un qui appelle a une innovation blâmable et que cette innovation peut conduire à l’impiété, son affaire est plus grave que le Dhimmi membre d’une communauté des gens du livre, parce qu’il ne s’acquitte pas du tribut de la jizya et ne bénéficie pas du statut de Dhimmi. Si son innovation ne le conduit pas à l’impiété, son affaire entre lui et Dieu - عز و جل - est certes plus légère que celle de l’impie, mais il reste qu’on doit le récuser plus sévèrement que le mécréant parce que celui-ci est moins dangereux en ce sens qu’on ne prête pas attention à ses propos tandis que l’innovateur, qui appelle en faveur d’une innovation blâmable, prétend que son appel est la vérité même. De ce fait, il représente une menace en ce sens qu’il constitue une cause pour tromper les créatures, et que son mal ne se limite pas a lui. Il convient donc de lui montrer de l’hostilité, de rompre avec lui, de le prendre pour un ennemi, de le mépriser, de dénoncer son innovation et d’inviter les gens a se détourner de lui. Quant à l’innovateur parmi le commun des gens qui est incapable d’appeler en faveur de son innovation et dont on ne craint pas qu’i devienne un modèle pour les autres, son affaire est moins grave et il convient d’être bienveillant avec lui en lui prodiguant des conseils, car les cœurs des gens du commun se troublent rapidement. Toutefois si les conseils s’avèrent inutiles avec lui et que le fait de se détourner de lui peut nuire a son innovation, il est recommandé de lui tourner le dos. Et si on sait que cela ne l’affecte pas en raison de la grossièreté de sa nature et de l’enracinement de sa croyance dans son cœur, il convient absolument de se détourner de lui parce que l’innovation blâmable risque de se répandre entre les créatures et de faire un mal si on ne le fustige pas sévèrement. La troisième : il peut être un homme qui désobéit par ses actes et non par sa croyance. S’il s’agit d’une désobéissance qui risque de nuire a autrui comme l’injustice, la colère, le faux témoignage, la médisance, la calomnie, etc.…, il convient de se détourner de lui, d’éviter de le fréquenter et de s’abstenir de traiter avec lui. Ceci s’applique aussi à celui qui appelle en faveur de la corruption, comme celui qui favorise la mixité entre les hommes et les femmes et qui encourage l’usage des boissons alcooliques chez les gens corrompus. Il convient pour un tel individu de l’humilier et de rompre avec lui. Quant à celui qui se corrompt lui-même, en consommant des boissons alcoolisées, en forniquant, en volant et en négligeant un devoir, son affaire est moins grave, mais si on le découvre au moment où il commet son forfait, il convient de l’empêcher par les procédés appropriées, si le conseil s’avère efficace et utile pour lui on doit le lui prodiguer, autrement on est tenu de lui adresser des propos sévères. Les qualités exigible à propos de celui qu'on choisit pour être un compagnon Nous rapportons du Prophète - صلى الله عليه و سلم - qu'il a dit : « Chaque individu partage la croyance de son ami intime. Que chacun de vous regarde avant de choisir son ami intime. » Sache que n'importe qui ne convient pas à l'amitié et à la compagnie. En effet, il faut que le compagnon se distingue par un certain nombre de qualités qui font désirer son amitié. Mais ces qualités sont exigées en fonction des intérêts qu'on demande à l'amitié. Ces intérêts peuvent être mondains comme le profit qu'on tire de l'argent et de la réputation ou le simple fait de se réconforter par sa présence et ses confidences ; mais cela ne constitue pas l'objet de notre propos, car les intérêts peuvent être religieux et l'amitié peut dans ce cas réunir des attentes multiples comme le fait de tirer profit de la science et de l'action, ou le fait de profiter de la réputation pour se préserver contre les nuisances qui troublent le cœur et empêchent l'adoration ou le fait de tirer profit de l'argent pour être à l'abri de la perte du temps dans la recherche de la nourriture ou le fait de s'aider de l'apport de l'amitié dans les moments importants ; ainsi l'amitié devient un réconfort dans les épreuves et un appui sûr pour affronter les situations ou dans le fait d'attendre l'intercession dans la vie future. En effet un ancien pieux disait : « Ayez beaucoup de frères car chaque croyant possède un pouvoir d'intercession. » Voilà les intérêts de l'amitié, chacun d'eux exige des conditions qui la rendent possible. En un mot, celui dont la compagnie est prisée, doit posséder cinq qualités : II doit être raisonnable, doué d'un bon caractère, ni pervers, ni innovateur, ni trop attaché au bas-monde. Pour ce qui est de la raison, c'est le capital de l'homme, car il n'y a aucun bien dans la compagnie de l'idiot, parce qu'il veut t'être utile et il te nuit. Nous entendons par raisonnable l'homme qui perçoit les choses telles qu'elles sont, soit par lui-même, soit parce qu'il est disposé à comprendre ce que l'on veut lui fait comprendre. Pour ce qui est du bon caractère, c'est une qualité indispensable car beaucoup d'hommes raisonnables sont dominés par la colère ou le désir et se laissent guidés par leurs passions, II n'y a donc aucun bien dans la compagnie de ce genre d'hommes. S'agissant du pervers, il ne craint pas Dieu, or, on ne peut se fier et on ne peut être à l'abri de la traîtrise de celui qui ne craint pas Dieu - تعالى - on ne peut se fier. S'agissant de l'innovateur, on craint sa compagnie en raison de la propagation de son innovation. 'Umar Ibn al-Khattâb - رضي الله عنه - a dit : « Attache-toi à des frères véridiques, tu vivras en leur compagnie, car ils sont une parure dans la prospérité et un recours dans les épreuves. Envisage l'affaire de ton frère sous le meilleur angle jusqu'à ce que vienne ce qui pourrait t'amener à le détester. Evite ton ennemi et soit prudent avec ton ami sauf s'il est fidèle et intègre. Or il n'y a pas d'homme intègre qui ne craint pas Dieu. N'entre pas dans la compagnie du débauché pour éviter d'apprendre sa débauche et ne lui dévoile pas tes secrets. Enfin consulte pour ton affaire ceux qui craignent Dieu - تعالى -. » Yahyâ ibn Mu'âdh - رضي الله عنه - disait : « Pire est l'ami lorsque tu es obligé de lui dire : mentionne-moi dans tes invocations, ou lorsque tu vis en sa compagnie avec ménagement, ou lorsque tu es obligé de t'excuser auprès de lui. » Un groupe d'hommes était entré chez al-Hasan - رضي الله عنه - pendant qu'il dormait. Quelques-uns se mirent à manger des fruits qui se trouvaient dans la maison. Al-Hasan - رضي الله عنه - leur dit : « Que Dieu vous prenne en miséricorde. Par Dieu ! Ceci est vraiment l'agissement des frères. » Abu Ja'far - رضي الله عنه - a dit à ses compagnons : « Est-ce que l'un de vous a introduit sa main dans la manche de son frère pour prendre ce qu'il veut ? » Ils ont dit : « Non. » « Vous n'êtes pas, dit-il, les frères que vous prétendez être ? » On rapporte que Fath al-Mawsilî - رضي الله عنه - se rendit chez un ami appelé 'Issa al-Tammâr - رضي الله عنه -. Ne l'ayant pas trouvé à la maison, il dit à sa servante : sors moi la trousse de mon frère. Elle le fit et il prit deux dirhams. Au retour de Issa dans sa maison sa servante le mis au courant. Issa - رضي الله عنه - lui dit : « Si tu dis vrai tu es libre. » Puis il regarda, dans sa trousse et constata qu'elle avait dit la vérité, elle fut ainsi affranchie. Les droits que l'homme doit à son frère Le premier droit : satisfaire et assurer les besoins. Ceci comporte plusieurs degrés dont le plus bas consiste à s'occuper des besoins au moment de la demande, dans la joie et la détente. Le degré médian consiste à assumer les besoins sans qu'il y ait demande. Le degré le plus élevé consiste à donner la priorité aux besoins du frère sur ceux des gens. Ainsi certains Anciens Pieux s'enquéraient pendant quarante ans de la situation des familles de leurs frères après leur disparition et s'occupaient de leurs besoins. Le deuxième droit : la langue doit parfois garder le silence et parfois se mettre à parler. S'agissant du silence, il doit garder le silence et ne pas évoquer les défauts d'autrui en sa présence et en son absence, s'abstenir de l'interpeller, de le disputer ou de le questionner sur ce qu'il n'aimerait pas qu'on dévoile. De même, il ne doit pas lui demander en le rencontrant : où vas-tu ? Car il se peut qu'il ne désire pas l'informer. Il doit également garder ses secrets même après la rupture de leur lien d'amitié, s'abstenir de dénigrer sa famille et ses amis, et éviter de lui transmettre les critiques d'autrui à son égard. Le troisième droit : il doit garder le silence sur ce que son frère déteste sauf s'il doit parler en raison de l'obligation de recommander le bien et d'interdire le mal ou parce qu'il n'est pas dispensé de garder le silence, car le fait de l'affronter dans ce cas constitue une attitude bienfaisante à son égard. Sache également que si tu cherches un frère exempt de tout défaut, tu ne le trouveras nulle part. C'est dire que celui qui est recherché est un frère dont les qualités surpassent les méfaits. Ibn al-Mubârak disait : « Le croyant cherche les excuses et l'hypocrite cherche les trébuchements. » De son côté al-Fudhayl disait : « al-futuwwa (le comportement chevaleresque) consiste à pardonner les fautes des frères. » II convient aussi que tu évites de suspecter ton frère et que tu vois le bon côté de ses actes autant que cela est possible. En effet, le Prophète - صلى الله عليه و سلم - a dit : « Prenez garde à la suspicion car la suspicion constitue le propos le plus mensonger ». Sache également que la suspicion incite à l'espionnage, ce qui est interdit, couvrir les défauts et fermer les yeux à ce propos, constituent la marque des gens de la foi. Sache aussi que la foi de l'individu n'est parfaite que s'il aime pour son frère ce qu'il aime pour lui-même et que le moindre degré de la fraternité consiste pour l'homme à traiter son frère comme il aimerait être traité. Nul doute, que tu attends de ton frère qu'il cache tes défauts et qu'il observe le silence à propos de tes méfaits, car s'il faisait de même pour toi, tu serais gêné. Comment peux-tu dans ces conditions, attendre de lui ce que tu ne te résous pas à observer en sa faveur ? Lorsque tu exiges, en matière d'équité, ce que tu ne permets, pas tu fais partie de ceux à propos desquels Allah - تعالى - a dit : « Qui, lorsqu'ils font mesurer pour eux-mêmes exigent la pleine mesure; et qui lorsqu'eux-mêmes mesurent ou pèsent pour les autres, (leur) causent perte.». (Coran : 83 : 2-3). Il faut dire que la haine et l'envie sont à l'origine des manquements en matière de préservation des défauts, car elles constituent une tentation à les dévoiler. Sache aussi que la dispute est l'une des plus graves causes du déclenchement de la haine et de l'envie entre les frères. Elle est favorisée par l'accent qu'on met sur la distinction en insistant sur les mérites et le côté raisonnable et en méprisant les manquements. C'est dire que celui qui dispute son frère lui inflige l'ignorance et l'idiotie et lui attribue l'insouciance et l'inadvertance à comprendre les choses telles qu'elles sont. Or tout ceci relève du mépris et il génère les ressentiments et l'hostilité, ce qui est le contraire même de la fraternité. Le quatrième droit : la langue se doit de parler. En effet, de même que la fraternité exige le silence pour ne pas exprimer ce qui est détestable, de même elle exige qu'on exprime ce qui est agréable par des mots : C'est même une attitude particulière à la fraternité car celui qui se contente du silence tient compagnie aux habitants des tombes. Or les frères sont voulus pour qu'on en tire profit et non pas pour s'en débarrasser. Ceci parce que le silence signifie le fait de cesser de nuire. Or l'homme est tenu de montrer son affection à son frère en l'exprimant par des mots, de s'enquérir de son état, de savoir ce qui lui arrive, de montrer que son cœur est occupé à cause de lui et de manifester de la joie devant ce qui lui fait plaisir. Il est dit dans le hadith authentique, d'après la recension de Tirmidhî : « Lorsque l'un de vous aime son frère qu'il l'en informe ». Cela consiste aussi à l'appeler par le surnom qui lui est le plus cher. 'Umar ibn al-Khattâb - رضي الله عنه - disait : « II y a trois attitudes qui rendent limpide l'affection de ton frère pour toi : tu le salues lorsque tu le rencontres, tu lui réserves la meilleure place lorsque tu le retrouves dans une séance et tu l'appelles par le plus cher de ses noms » . Cela consiste également à le louer par les meilleures qualités qu'on lui connaît et ceci auprès de celui qu'il aime qu'on le complimente en sa présence. Il convient également de louer ses enfants, sa famille et ses agissements, même pour ce qui touche sa beauté physique, son esprit, sa prestance, son écriture, sa composition et tout ce qui lui fait plaisir, sans verser dans l'exagération et le mensonge. Il convient aussi de lui transmettre les compliments de celui qui le loue en montrant de la joie car le fait de le cacher relève de l'envie. Cela consiste aussi à le remercier pour ce qu'il fait pour toi et à le défendre en son absence si on l'attaque, car le droit de la fraternité exige d'être ferme en matière de défense et de secours. Il est dit, du reste, dans le hadith authentique : « Le musulman est le frère du musulman. Il ne l'offense pas et ne le fâche pas ». En effet lorsqu'il néglige la défense de sa réputation il le lâche. Il y a deux critères à ce sujet : Le premier : tu estimes que ce qui a été dit sur lui a été dit sur toi en sa présence. Tu diras alors ce que tu aimes qu'il dise. Le deuxième : tu considères qu'il est présent derrière le mur et qu'il entend ce que tu dis. Aussi, ce qui se remue dans ton cœur pour le soutenir en sa présence doit se remuer en son absence. C'est dire que celui qui n'est pas sincère dans sa fraternité est un hypocrite. Cela consiste également à lui prodiguer l'enseignement et les bons conseils car ton frère a besoin de la science autant que l'argent. Aussi, si tu es riche en matière de savoir, tu dois le conforter et l'initier. Mais il convient que tes conseils en sa faveur soit dispensés en secret parce que la différence entre la remontrance et le conseil dépend de la publicité et de l'attitude secrète au même titre que celle entre le ménagement et la duplicité dépend du dessein qui amène à fermer les yeux. En effet, si tu fermes les yeux pour préserver ta foi et parce que tu estimes que cette attitude concourt à l'amélioration de ton frère, tu es un homme prudent qui sait ménager les autres, mais si tu fermes les yeux pour une raison personnelle et parce que cette attitude te procure du plaisir et préserve ta réputation, tu es alors un flatteur. Cela consiste aussi à pardonner les fautes. S'il s'agit d'un faux pas dans sa foi, tu dois te montrer dans la mesure du possible aimable dans les conseils que tu lui prodigues, sans omettre de lui faire des remontrances et de l'exhorter. S'il s'y refuse, tu peux rompre avec lui. Le cinquième droit : il s'agit de faire des invocations pour un frère de son vivant et après sa mort comme tu aimerais qu'il fasse pour toi. En effet, il est rapporté chez Muslim d'après le hadith transmis par Abu al-Dardâ' - رضي الله عنه - que le Prophète - صلى الله عليه و سلم - a dit : « L'invocation de l'individu musulman pour son frère en son absence est exaucée. Chaque fois qu'il invoque le bien en faveur de son frère il y a un ange à son chevet qui lui est préposé et qui dit à chaque invocation : Amîn ! Et il en sera de même pour toi ! ». De même Abu al-Dardâ' - رضي الله عنه - faisait des invocations en faveur de beaucoup de frères et les nommaient par leurs noms. De son côté Ahmad ibn Hanbal - رحمه الله - faisait à l'aube des invocations en faveur de six personnes. Pour ce qui est de l'invocation après la mort, Amru Ibn Harith - رضي الله عنه - disait : « Lorsqu'un serviteur fait une invocation en faveur de son frère déjà mort, un ange l'apporte à sa tombe et lui dit : ô habitant de cette tombe ! Voici un cadeau pour toi de la part d'un frère compatissant ». Le sixième droit : c'est la fidélité et la sincérité. La fidélité signifie: garder l'amour au-delà de la mort et aimer les enfants et les amis du frère décédé. En effet, le Prophète - صلى الله عليه و سلم - a honoré une vieille darne en disant : « Elle nous rendait visite du vivant de Khadija. Et la fidélité au pacte relève de la foi ». La fidélité consiste aussi à ne pas changer d'attitude envers un frère et à garder la même modestie même si on devient un grand personnage de ce monde. Sache également que ce n'est pas de la fidélité que d'approuver un frère dans ce qui est contraire à la foi. En effet, l'imam al-Shâfi'î - رحمه الله - avait fraternisé avec Muhammad ibn Abdelhakam qu'il rapprochait de lui et favorisait. Au moment du trépas on lui a demandé : A l'enseignement de qui allons-nous assister après toi Ô Abu Abdullâh ? Muhammad ibn Abdul Hakam, qui se trouvait au chevet de l'imam al-Shâfi'î - رحمه الله - se tourna vers lui dans l'espoir d'être désigné. Mais Sahfi'i - رحمه الله - leur dit : Assistez aux séances d'Abû Ya'qûb al-Bouitî. Muhammad ibn Abdulhakam en fut brisé. C'était pourtant un disciple de l'imâm al-Shâfi'î - رحمه الله - mais al-Bouitî était plus proche de l'ascèse et du scrupule. Voilà pourquoi l'imam al-Shâfi'î - رحمه الله - avait prodigué le meilleur conseil aux musulmans et a renoncé à toute forme de flatterie et de complaisance. D'ailleurs, Abdelhakam se retourna ensuite contre l'école Shâfi'îte et adopta le Mâlikite. La fidélité consiste aussi à ne pas écouter ce que les gens colportent contre son ami et à ne pas croire ses ennemis. Le septième droit : il s'agit de l'allégement et de l'abandon de l'affection. En effet, il ne faut pas imposer à son frère ce qui risque de l'indisposer, au contraire on doit le soulager par rapport à ce qui le préoccupe. Il convient aussi de ne pas exploiter sa réputation et sa fortune, de ne pas lui imposer l'obligation de s'enquérir de l'état de son frère, de s'acquitter de ses droits et d'être humble avec lui, car en aimant son frère, on doit ne chercher que l'agrément de Dieu. On doit également rechercher la bénédiction de ses invocations, la familiarité de sa rencontre, le réconfort par sa foi, la proximité de Dieu - تعالى - en s'acquittant de ses droits. D'ailleurs, le parfait allégement consiste à enrouler le tapis de la pudeur pour que le frère n'ait plus de pudeur là où on n'en a pas soi-même. En effet, J'a'far ibn Muhammad disait : « Mon frère qui m'est le plus pesant est celui qui fait preuve d'affectation à mon égard et qui m'oblige à être réservé vis à vis de lui. Le plus léger pour mon cœur est celui avec qui je suis aussi naturel que lorsque je suis avec moi-même. » Un sage disait : « La familiarité de celui qui se passe de toute affectation, est durable. » Cela dit, la perfection en cette affaire, c'est que tu vois que le mérite revient à tes frères et non pas à toi-même, de sorte que tu te considères comme leur serviteur. Un ensemble de règles relatives à la cohabitation avec les créatures La cohabitation implique que tu sois digne sans montrer de l'orgueil, que tu sois humble et modeste sans t'humilier, que tu accueilles l'ami et l'ennemi avec une mine réjouie sans s'humilier devant eux, ni les craindre, que tu sois prudent lorsque tu es assis en public en évitant de croiser les doigts, d'introduire ton doigt dans le nez, de cracher et de bâiller. Tu dois aussi écouter celui qui te parle, ne pas lui demander de se répéter, ne pas montrer ta fierté pour tes enfants, ne pas avoir le maniérisme de la femme lorsqu'elle se fait une beauté et ne pas se montrer négligeant comme les gens de condition inférieure. Tu dois intimider les gens de ta famille sans violence et tu dois faire preuve avec eux de souplesse sans faiblesse. Tu ne dois pas plaisanter avec les gens de condition inférieure pour ne pas perdre leur estime et tu ne dois pas te retourner en arrière. Tu ne dois non plus fréquenter le prince ou le sultan. Et si tu le fais, prends garde aux péchés et à la médisance, préserve son secret, prend soin de ne pas plaisanter avec lui, évite en sa présence d'éructer et d'user d'un cure-dent. S'il te rapproche de lui, prend garde à lui et s'il se laisse aller avec toi ne te rassures pas pour autant contre ses retournements à ton égard. Tu dois le traiter avec bienveillance comme si tu traitais un enfant, lui parler de ce qu'il désire et éviter de s'immiscer entre lui, sa famille et sa suite. Prend garde surtout à l'ami des moments d'aisance et ne fais pas en sorte que ton argent soit plus noble que ton honneur. Si tu participes à une réunion, assied toi à la place qui offre le plus de modestie. Ne t'assied pas sur le chemin et si tu le fais baisse le regard. Fais triompher également la cause des victimes de l'injustice et conduis dans la bonne voie celui qui est égaré. Ne crache pas en direction de la Qibla, ni à ta droite mais à ta gauche et sous ton pied gauche. Prends garde aussi à t'asseoir avec le commun des gens. Et si tu le fais, tu dois faire semblant d'ignorer l'immoralité de leurs propos et éviter de participer à leur discussion. Prends garde à trop plaisanter, car l'homme intelligent te haït dans la plaisanterie et l'homme stupide ose t'attaquer. La solitude et le retrait Les gens ont divergé à propos de la vie dans l'isolement et de la fréquentation, laquelle des deux est meilleure ? Pourtant chacune d'elles comporte des intérêts et des risques. Mais il faut dire que la plupart des ascètes ont préféré la solitude et la retraite spirituelle. Parmi ceux qui ont opté pour la retraite spirituelle citons : Sufyân al-Thawrî, Ibrâhîm ibn Adham, Dâwûd al-Tâ'î, al-Fudhayl ibn 'lyâdh, Bishr al-Hâfî et bien d'autres. Parmi ceux qui ont préféré la fréquentation citons Sa'ïd ibn al-Musayyib, Shurayh, al-Sha'bî, ibn al-Mubârak et bien d'autres. Chaque groupe avait ses arguments. Evoquons en quelques uns. S'agissant des arguments du premier groupe, on rapporte dans les deux Recueils authentiques (Sahîhayn), d'après le Hadîth transmis par Abu Sa'îd : « On a demandé : Ô Envoyé de Dieu ! Quel est le meilleur homme ? Il a répondu : Un homme qui combat en investissant sa personne et ses biens et un homme qui se retire dans une vallée où il adore son Seigneur et met les gens à l'abri de son mal ». Il est dit, dans le Hadîth rapporté par 'Uqba ibn 'Amir - رضي الله عنه - : « J'ai dit : Ô Envoyé de Dieu ! Où est le salut ? Il a répondu : Garde ta langue, que ta maison te contienne et pleure ton péché ». Pour sa part, 'Umar ibn al-Khattâb - رضي الله عنه - a dit : « Prenez votre part de l'isolement. De son côté, ibn Mas'ud a dit : Soyez des sources du savoir, des lampes de nuit, des gardiens de maisons avec des cœurs épris de dévotion et des habits usés, vous serez reconnus par les habitants du ciel et ignorés par les habitants de la terre. » Sa'd ibn Abî Waqqâs - رضي الله عنه - a dit : « J'aurais souhaité qu'il y ait entre les gens et moi une porte en fer, que personne ne puisse me parler ou que je puisse lui parler jusqu'à ce que je rencontre Dieu - qu'il soit glorifié ». De son côté Abu al-Dardâ' - رضي الله عنه - a dit : « Le meilleur ermitage de l'individu musulman, c'est sa maison où il retient sa langue, sa passion charnelle et son regard. Prenez garde surtout aux retrouvailles des marchés car elles absorbent l'attention et éliminent la concentration. » A son tour Daoud al-Ta'i - رضي الله عنه - a dit : « Fuis les gens comme si tu fuyais un lion. » Enfin Abu Muhalhil - رضي الله عنه- rapporte : « Un jour Sufiyan al-Thawr m'avait pris par la main pour aller dans un cimetière. Nous nous sommes retirés dans un coin où il se mit à pleurer avant de me dire ceci : Ô Abu Muhalhil ! si tu peux éviter à ton époque de fréquenter quiconque, fais-le, et que ton souci majeur soit l'amélioration de ta personne. » S'agissant des arguments avancés par ceux qui ont choisi la fréquentation, il y a la Parole du Prophète - صلى الله عليه وسلم - : « Le croyant qui fréquente les gens et supporte leur gêne est meilleur que celui qui ne les fréquente pas et n'endure pas leur nuisance ». Ils ont également avancé des arguments faibles qui ne résistent pas à l'examen comme l'interprétation qu'ils se font de la Parole d'Allah - تعالى - : { Ne soyez pas comme ceux qui se sont divisés et qui se sont opposés les uns aux autres } (Coran : III-105) parce que ce qui est visé dans ce verset c'est la division des opinions et des doctrines autour des fondements et des principes de la Loi religieuse. Ils ont avancé également comme argument la Parole du Prophète - صلى الله عليه وسلم - qui dit : « Point de rupture au-delà de trois jours ». En soutenant que la retraite est une rupture complète, ce qui est bien faible car ce qui est visé dans ce Hadîth, c'est le fait de rompre l'échange des mots et des salutations et la fréquentation habituelle. L'utilité de la retraite, ses risques et le dévoilement de la vérité sur sa vertu Sache que les divergences des gens à ce sujet sont semblables à leurs divergences à propos de la vertu du mariage et du célibat. Or, nous avons indiqué que cela dépendait des situations et des personnes. Nous dirons ici la même chose. Mais commençons d'abord par évoquer les utilités de la retraite qui sont au nombre de six : La première : la consécration à la dévotion et la familiarité avec les confidences d'Allah - تعال -. En effet ceci exige du temps libre. Or, il ne peut y avoir de temps libre dans la fréquentation. Donc la retraite spirituelle est un bon moyen pour le faire, surtout au début. On a demandé à un sage : où l'ascèse et la retraite spirituelle ont-ils conduit les dévots ? Il a répondu : à la familiarité avec Allah. Ouways al-Qârânî disait : « Je ne pouvais imaginer qu'un homme qui connaît son Seigneur puisse se familiariser avec un autre. » Sache que pour celui qui parvient à la familiarité avec Allah, grâce à la pérennité du dhikr (Rappel d'Allah) ou à la réalisation de la connaissance d'Allah grâce à la pérennité de la méditation, se consacrer à une telle tâche lui est meilleure que tout ce qui se rapporte à la fréquentation. La deuxième : se débarrasser, grâce à la retraite spirituelle, des péchés auxquels l'homme s'expose généralement du fait de la fréquentation. Il s'agit de quatre péchés essentiels : Du reste, ce qui prouve la perte de l'effet de la chose à cause de sa répétition et de sa constatation, c'est que la plupart des gens, en voyant un musulman manger pendant le jeûne de Ramadan, jugent très grave son attitude et vont jusqu'à croire que c'est un mécréant. Mais il leur arrive de voir un homme qui n'accomplit pas sa prière à l'heure sans avoir à son égard la même réprobation qu'ils ont à l'égard de celui qui ne respecte pas le jeûne, bien que la négligence d'une seule prière conduit à l'impiété. En fait, il n'y a pas d'autre raison à cela à part le fait que la prière se répète régulièrement et qu'on ne respecte pas souvent son horaire. De même lorsqu'un Fâqih porte un habit en soie ou une bague en or, les gens le fustigent avec la dernière énergie, mais il leur arrive de le voir entrain de calomnier et de médire, sans trouver que son attitude est très grave. Pourtant, la médisance est plus grave que le port de la soie. Mais à force de l'entendre et de voir les calomniateurs, la médisance n'a plus d'effet sur les cœurs. Sois donc attentif à ces subtilités et prend garde à la fréquentation des gens, car tu risques de ne trouver auprès d'eux que ce qui renforce ton attachement au bas-monde et ton insouciance par rapport à la vie future, ce qui te pousse à négliger les péchés et à avoir un faible désir pour les actes d'obéissance. Aussi, si tu tombes sur une séance où on mentionne Allah - تعال -, tu ne dois pas la quitter, car c'est le butin du croyant. La troisième utilité : il s'agit d'être délivré des discordes et des disputes et de préserver la foi contre la tentation de s'y mêler. En effet, rarement un pays est dépourvu de fanatisme et de querelles de tout genre. Or celui qui vit en retrait par rapport à ces fléaux est délivré. Ibn 'Umar - رضي الله عنه - rapporte que le prophète صلى الله عليه و سلم - a évoqué les discordes et les séductions et les a décrites. Puis il lui dit : « Si tu vois que les gens sont submergés par les troubles, qu'ils ne respectent plus leurs engagements et tout ce qu'on leur confie et qu'ils deviennent comme ceci », et il croisa ses doigts... Ibn 'Umar lui demanda alors : « Que m'ordonnes-tu ? » II lui dit : « garde ta maison, maîtrise ta langue, prends ce que tu connais, laisse ce que tu ne reconnais pas, occupe-toi de tes affaires privées et laisse les affaires publiques. » On a d'ailleurs d'autres Hadîth qui vont dans le même sens. La quatrième utilité : il s'agit de se délivrer du mal des gens car ils te nuisent une fois par la médisance, une fois par la calomnie, une fois par la suspicion, une fois par l'accusation, une fois par les faux espoirs. Du reste, celui qui fréquente les gens ne manque pas d'avoir un envieux, ou un ennemi, ou autre chose parmi les maux que l'homme retrouve chez ses connaissances. Or la retraite et la vie dans l'isolement et la solitude constituent Je moyen pour s'en délivrer. ; Le poète dit : De ton ami ton ennemi tire profit Aussi, ne multiplie pas trop les amis ? Ne vois-tu pas que souvent le mal Provient de la nourriture et de la boisson ! 'Umar - رضي الله عنه- disait : « La retraite délivre des mauvaises fréquentations. » De son côté Ibrâhîm ibn Adham - رضي الله عنه- disait : « Ne cherche pas la connaissance de celui que tu ne connais pas et ignore celui que tu connais ». Un homme a demandé à son frère : veux-tu que je t'accompagne pour le pèlerinage ? Il lui dit : Laisse-nous vivre dans la préservation d'Allah car nous craignons de découvrir les uns chez les autres ce qui nous amène à nous mépriser. Voilà une autre utilité de la vie en retraite, à savoir la préservation de la foi, de la grandeur d'âme et de l'ensemble des défauts et des nudités. La cinquième utilité : c'est que cessent la convoitise des gens à ton égard, et ta propre convoitise envers eux. Pour ce qui est de leur convoitise, sache que leur satisfaction est inconsolable. Aussi celui qui se soustrait à eux coupe toute envie d'assister à leurs réceptions et à leurs noces, etc... D'ailleurs, on a dit que celui qui prive tout le monde de sa présence est agrée par tous. Pour ce qui est de ta propre convoitise, sache que celui qui regarde la fleur du bas-monde, devient avide et redouble de convoitise, mais il ne récolte que les déceptions et les ennuis dans la plupart de ses ambitions. En effet, il est dit dans le Hadîth : « Regardez ceux qui vous sont inférieurs et ne regardez pas ceux qui vous sont supérieurs, car c'est l'attitude qui convient pour que vous ne méprisiez pas les bienfaits de Dieu en votre faveur ». La sixième utilité : C'est le fait de se débarrasser des gens insupportables et des idiots et de ne plus endurer leurs mauvais caractères. Il faut dire que lorsque l'homme est gêné par des individus insupportables, il ne tarde pas a médire d'eux. Et s'ils le gênent en le dénigrant, il leur rend la pareille. Ainsi cette affaire dégénère et aboutit à la corruption de la foi. Or la vie en solitaire met à l'abri de ce genre de fléaux. Les défauts de la retraite et de la vie en solitaire Sache que certains buts religieux et profanes se réalisent grâce au recours à l'assistance d'autrui et ne s'obtiennent que par le biais de la fréquentation. Or parmi les bienfaits de la fréquentation, il y a l'apprentissage et l'enseignement, l'utilité et le fait d'être utile, l'éducation et la formation, la familiarité et le fait d'apporter le réconfort, l'obtention de la récompense en s'acquittant des droits, l'accoutumance à la modestie, le fait de tirer profit des expériences, et de la constatation de ces états le fait d'en tirer des leçons. Tels sont donc les bienfaits de la fréquentation. Reprenons-les en détail. Le premier bienfait : l'apprentissage et l'enseignement. Nous avons déjà évoqué leur mérite dans le livre de la science. Ainsi celui qui s'initie aux obligations rituelles, puis constate qu'il ne peut pas aller plus loin dans l'acquisition du savoir et qu'il vaut mieux pour lui se consacrer à la dévotion, se doit de se consacrer à la retraite spirituelle et à la vie solitaire. En revanche, s'il peut se distinguer dans les sciences de la loi religieuse, l'isolement avant d'avoir terminé sa formation constitue à son endroit le comble de l'échec. Voilà pourquoi al-Rabf ibn Khaytam disait : « Initie-toi puis retire-toi. » C'est dire que le savoir constitue le fondement de la religion et qu'il n'y a aucun bien dans le retrait des gens du commun. On a demandé à un savant : « Que dis-tu de la retraite de l'ignorant ? » Il a répondu : « C'est de la folie et c'est un malheur. » On lui a demandé : « Et de celle du savant ? » Il a répondu : « Tu n'as rien à avoir avec une telle retraite. Laisse-là, elle est accompagnée de ce qui la chausse et l'irrigue ; elle s'abreuve à l'eau et se nourrit des arbres jusqu'à ce qu'elle rencontre son Seigneur. » Pour ce qui est de l'enseignement, il comporte une immense récompense lorsqu'il y a une bonne intention pour le dispenser. Mais lorsque le dessein à travers l'enseignement se limite à la renommée et à la recherche d'un grand nombre de disciples, cela devient un péril pour la foi. Et c'est ce qui a été indiqué dans le livre de la science. Or, ce qui prévaut à notre époque, c'est le mauvais dessein de ceux qui veulent apprendre. Aussi la foi implique de se retirer par rapport à eux. Toutefois, si l'on rencontre un chercheur d'Allah qui désire se rapprocher d'Allah par l'apprentissage du savoir, il n'est pas permis de s'isoler et de le priver de l'initiation, car il est interdit dans ce cas de garder la science pour soi et on ne doit pas se duper sur la parole de celui qui a dit : Nous avons appris le savoir sans viser Allah, mais le savoir a voulu qu'il soit autrement que pour Allah. En effet, l'auteur de cet adage vise par là les sciences du Qur'ân et du Hadîth et la connaissance des conduites des Prophètes et de compagnons. Or ceci implique l'avertissement et la mise en garde et constitue un bon mobile pour générer la crainte d'Allah - تعالى -, car s'il n'a pas un effet immédiat, il en aura à long terme. En revanche la théologie ('ilm al-kalam) et la science des divergences ne ramènent pas à Allah - تعالى - tout individu qui s'attache au bas-monde ne cessera de persister dans son attachement jusqu'à la fin de sa vie. Le deuxième bienfait : c'est le fait d'être utile et d'en profiter Pour ce qui est de profiter de l'apport d'autrui, ceci se réalise grâce au travail et à l'échange. Ainsi celui qui en a besoin se trouve dans l'obligation de renoncer à la retraite et à l'isolement. Quant à celui qui possède ce qui lui suffit, la retraite spirituelle est meilleure pour lui, sauf s'il vise le contentement à travers son activité et son travail. Dans ce cas, cette attitude est meilleure que la retraite, sauf si celle-ci lui procure la connaissance et la familiarité d'Allah - تعال - à condition que cette appréciation soit fondée sur le dévoilement et la clairvoyance et non pas sur des illusions et des aberrations. Pour ce qui est du fait d'être utile, cela consiste à être utile aux gens, soit par ses biens, soit par sa force physique pour satisfaire leurs besoins. Ainsi, pour celui qui peut le faire tout en s'acquittant des prescriptions de la Loi religieuse, cette attitude est meilleure que la retraite, si dans sa retraite il ne pratiquait que les prières surérogatoires et les exercices physiques. S'il fait partie de ceux qui ont bénéficié d'une ouverture spirituelle qui permet l'action du cœur à travers la permanence dans le dhikr ou la méditation, la retraite spirituelle sera pour lui une option qui n'a pas son équivalent. Le troisième bienfait : c'est le fait de recevoir et de donner une bonne éducation. Nous entendons par-là le fait de s'exercer à endurer les gens, à redoubler d'effort pour supporter leur gêne, à briser les caprices de l'âme et à dominer le désir et la passion. Or cette attitude est meilleure que la retraite pour celui qui n'a pas amélioré son caractère. Mais il faut comprendre que l'exercice n'est pas voulu pour lui-même au même titre qu'il n'est pas visé à travers le dressage de la bête. En effet, on veut de son dressage qu'elle devienne une monture pour traverser les étapes. Or le corps est justement une monture sur laquelle on chemine sur la voie de la Vie Future. Cette monture possède bien des passions et des caprices. Si elles ne sont pas domptées, la monture risque de s'emballer en plein désert avec celui qui se trouve sur son dos. Ainsi celui qui passe sa vie dans les exercices ressemble à celui qui consacre sa vie au dressage de sa bête sans la monter et sans la dompter. Tout ce qu'il gagne c'est qu'il évite que la bête ne le morde ou ne l'écrase. Certes, c'est déjà un point utile mais ce n'est pas tout ce qu'il fallait rechercher. On a interpellé un ermite : ô toi l'ermite ! mais il a répondu : je ne suis pas un ermite mais un simple chien mordant. Je suis retenu ici pour ne pas mordre les gens. Certes, c'est une bonne attitude par rapport à celui qui mord, mais il convient de ne pas s'en contenter. Quant au fait d'éduquer autrui et de lui apprendre les bonnes manières, c'est une pratique qui s'expose aux défauts et aléas que connaît la propagation du savoir, comme il a été souligné. Le quatrième bienfait : c'est le fait de rechercher la familiarité et le réconfort. Cela peut être bon, à l'instar de la familiarité que procure la présence des gens pieux. Mais il peut être recherché aussi pour réconforter les cœurs devant les affres de la solitude. Il convient donc que la familiarité soit recherchée à certains moments de manière à ne pas affecter le temps qui reste. Il faut aussi que la conversation durant ces retrouvailles familières soit limitée aux questions propres à la foi. Le cinquième bienfait : c'est le fait d'obtenir et de permettre l'obtention de la récompense. Le premier cas se réalise grâce à la participation aux funérailles, à la visite des malades, à la participation aux noces et aux réceptions. Ces pratiques renferment beaucoup de récompense en ce sens qu'elles apportent la joie au croyant. Le deuxième cas consiste à ouvrir sa porte aux gens pour qu'ils lui présentent leurs condoléances, ou le félicitent, ou lui rendent visite, ce qui leur permet d'obtenir beaucoup de récompense. Il en va de même lorsqu'il s'agit d'un savant qui les autorise à le visiter. Mais il convient pour le fidèle de comparer la récompense tirée de ces fréquentations à leurs défauts, pour faire valoir la retraite ou la fréquentation. Du reste la plupart des Anciens Pieux préféraient la retraite à la fréquentation. Le sixième bienfait : c'est la modestie. On ne peut le faire dans la solitude. En effet il arrive que l'orgueil soit la cause du choix de la vie recluse du fidèle et que les manquements dans les réceptions et les fêtes pour l'honorer et lui accorder la priorité l'empêchent d'y assister. Il arrive aussi qu'il dédaigne de fréquenter les autres parce qu'il est imbu de sa personne et ainsi de suite. D'ailleurs, le signe de ce caractère hautain se lit dans son aptitude à aimer qu'on lui rende visite et à détester qu'il doive le faire lui-même, à se réjouir du rapprochement des princes et des gens du commun et de leurs retrouvailles à son seuil et à ce qu'on baise sa main. Donc la retraite pour cette raison, c'est de l'ignorance, parce que la modestie n'affecte pas une position éminente. Ainsi, lorsque tu connais les vertus et les vices de la retraite, tu réalises que la juger dans l'absolu, positivement ou négativement, est une erreur. Il convient plutôt de regarder la personne et son état, celui qu'on fréquente et sa situation, le motif qui pousse à la fréquentation, et de comparer ce qu'on a raté avec ce qu'on a obtenu. La vérité peut alors se dégager et on verra clairement ce qui est meilleur. L'imâm Ash-Shâfï'î - رحمه الله تعال - disait : « Se refermer par rapport aux gens rapporte l'hostilité et s'ouvrir à eux rapporte bien des maux. Aussi, place-toi entre le resserrement et la dilatation. Et celui qui soutient autre chose manque de perfection. Ce qu'il dit n'est qu'une information subjective sur son propre état spirituel. Il n'est donc pas permis de s'en servir comme critère pour juger le cas de celui qui a un état spirituel différent. » Si l'on se demande : quelles sont les règles de la retraite spirituelle ? Nous répondons par ceci : Il convient, pour celui qui s'isole et se retire, de formuler à travers sa retraite l'intention de soustraire les gens à son propre mal, puis de rechercher la délivrance des maux d'autrui, puis de se débarrasser du défaut de manquement à s'acquitter des droits des musulmans, puis de se dépouiller et de se consacrer à Allah - تعال -. Voilà des règles claires et évidentes. Ensuite, le fidèle est tenu, dans sa retraite, de pratiquer régulièrement la science et l'action, l'invocation et la méditation, pour pouvoir récolter le bénéfice de sa retraite. Il doit aussi empêcher les gens de trop le visiter, pour disposer de son temps et cesser de demander de leurs nouvelles et d'écouter les fausses rumeurs qu'on répand dans le pays, et ce qui occupe les gens, car tout cela s'implante dans le cœur et rejaillit même en pleine prière. C'est que les nouvelles s'infiltrent dans les oreilles comme la semence dans la terre. Le fidèle doit se contenter de peu pour vivre, autrement il sera obligé de fréquenter les gens. Il doit également s'armer de patience pour endurer la gêne que les gens lui causent et ne pas écouter les compliments qu'on lui fait à cause de sa retraite, ou les critiques qu'on lui adresse du fait de l'abandon de la fréquentation. Car tout cela affecte le cœur et l'amène à s'arrêter dans son cheminement sur la voie qui conduit à la vie future. Il doit avoir un bon compagnon près duquel il s'assoit de temps à autre pour se reposer de l'endurance de l'effort et des exercices spirituels. Ceci constitue une aide précieuse pour affronter le reste de son temps. Mais la patience dans la retraite spirituelle ne se réalise parfaitement que si on rompt les attaches avec le bas-monde et cette rupture totale n'est possible pour le fidèle que s'il met un terme à ses faux espoirs et à ses illusions. Ainsi, lorsqu'il se réveille le matin, il parvient à envisager réellement qu'il n'ira pas jusqu'au soir et vice-versa. Il lui sera alors facile d'endurer sa journée. Il doit également évoquer la mort et la solitude de la tombe surtout lorsque son cœur se resserre dans sa solitude. Qu'il réalise aussi que celui dont le cœur ne parvient pas à se familiariser avec la présence divine, malgré la mention de Dieu et Sa connaissance, ne supportera pas la frayeur de la solitude dans l'outre tombe, et que celui qui [ retrouve le réconfort dans la mention d'Allah et Sa connaissance se familiarise avec la mort parce que cette dernière ne détruit pas le support de la familiarité et de la connaissance. Conformément à la parole d'Allah - تعال - concernant les martyrs : { Ils sont vivants auprès de leur Seigneur } (Coran : 3-169) Or tout homme qui se dépouille pour combattre son âme charnelle pour plaire à Dieu est martyr, conformément à la parole d'un compagnon : « Nous sommes revenus du combat mineur pour attaquer le combat majeur ». |
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