10 - Les rites du pèlerinage sont-ils du paganisme ?
Mon ami se frottait les mains, l'air satisfait. Il affichait au bord des lèvres un sourire malicieux qui laissait entrevoir ses dents. Dans ses yeux, brillait cet éclair apparaissant sur le visage du boxeur qui s'apprête à porter le coup décisif. Il me dit : - Ne remarques-tu pas avec moi que les rites de votre Pèlerinage à La Mekke sont du pur paganisme ? Cette construction en pierre, la Ka'aba, que vous touchez et dont vous faites plusieurs fois le tour... la lapidation de Satan... la course entre al-Safâ et al-Marwa... la Pierre Noire que vous baisez... et cette histoire du chiffre 7 ? Sept fois consécutives, vous accomplissez ces rites. Ce sont les vestiges d'une superstition liée aux chiffres magiques dans la sorcellerie de l'ancien temps. Et finalement, pourquoi cette pièce d'étoffe dont vous revêtez votre corps dénudé pour vous mettre en état de sacralisation rituelle ? Excuse-moi si je t'incommode avec ma franchise. Mais la pudeur ne compte pas dès qu'il s'agit de science ! Lentement, il tira quelques bouffées de sa cigarette tout en me lorgnant de derrière ses lunettes. Je répondis en gardant mon calme : - Ne remarques-tu pas avec moi, à ton tour, que les lois de la matière veulent que le plus petit tourne autour du plus grand ? L'électron de l'atome gravite autour du noyau ; la lune, autour de la terre ; la terre, autour du soleil ; le soleil, autour d'une galaxie ; la galaxie, autour d'une plus grande galaxie... Finalement, nous parvenons à Celui qui est le-Plus-Grand : Dieu. Ne disons-nous pas « Allâhu Akbar ! Dieu est le -Plus-Grand » ? Par conséquent, et conformément à ta loi scientifique, il est inévitable que tout gravite autour de Lui. C'est bien ce que tu fais toi-même en cet instant, bien malgré toi, puisque tu es pris dans le système solaire dont tu fais partie. Que tu le veuilles ou non, tu es emporté par un mouvement de gravitation. Rien n'est stable dans l'univers, excepté Dieu, Lui l'Impénétrable, l'Impassible autour de qui tout est mouvement. Telle est la loi du plus petit et du plus grand que tu as apprise en physique. Quant à nous, nous tournons intentionnellement autour de la Demeure de Dieu, car c'est la première que l'homme ait adoptée pour vénérer son Seigneur. Depuis les temps les plus reculés, elle est devenue un symbole. Ne défilez-vous pas au Kremlin, autour d'un homme embaumé que vous honorez du titre de « Bienfaiteur de l'humanité » ? Si vous appreniez qu'on a érigé un monument à la gloire de Shakespeare, vous iriez le visiter avec encore plus d'empressement que nous-mêmes lorsque nous allons visiter le tombeau de notre Prophète Muhammad. Ne déposez-vous pas une couronne de fleurs sur un tombeau qui, pour vous, symbolise le Soldat Inconnu ? Pourquoi alors nous reprocher de jeter des pierres contre un monument symbolique qui, pour nous, représente Satan ? La vie n'est-elle pas une marche rapide de la naissance à la mort ? Et lorsque tu disparaîs, c'est ton fils qui prend le relais... C'est exactement ce que signifie le trajet symbolique entre al-Safâ (dont le nom signifie « clarté », « vide », comme symbole du néant) et al-Marwa (la source, symbole de vie). Du néant à l'existence, puis de l'existence au néant : n'est-ce pas le mouvement pendulaire de toute créature ? Ne vois-tu pas dans les rites de notre Pèlerinage un résumé, symbolique et riche de sens, de toutes ces réalités mystérieuses ? Le chiffre 7 te fait rire ? Laisse-moi, dans ce cas, te demander : pourquoi y a-t-il sept notes dans la gamme, et sept seulement, non pas huit ? Après la septième, on reprend la note du début, et ainsi de suite... Il y a encore les sept couleurs du spectre lumineux, les sept sphères d'électrons gravitant autour du noyau de l'atome, le septième mois à partir duquel le foetus est pleinement formé dans le sein de sa mère (s'il naît avant, il meurt). Rappelons enfin que les jours de la semaine, non seulement chez nous, mais dans toutes les civilisations, sont au nombre de sept. Tous les hommes ont adopté cette même répartition, sans qu'ils aient eu à se consulter pour se mettre d'accord. N'est-ce pas significatif ? Ou bien, toutes ces réalités sont-elles, elles aussi, de la magie et de la sorcellerie ? Lorsque tu baises la lettre que tu as reçue de ta bien-aimée, es-tu un païen ? Pourquoi alors nous reprocher de baiser la Pierre Noire, comme le fit notre Prophète Muhammad lorsqu'il la fit apporter, enveloppée dans son manteau ? Il n'y a absolument aucun paganisme en cela. Dans les rites du Pèlerinage, ce n'est pas la Pierre comme telle que nous vénérons. Toute notre attention va aux significations profondes, aux symboles, aux souvenirs évoqués. Tous ces rites sont autant d'occasions pour nous faire réfléchir, éveiller nos sentiments et susciter la piété en nos coeurs. Quant à la pièce d'étoffe, qui doit être sans coutures et dont nous ceignons notre corps nu pour nous mettre en état de sacralisation rituelle, elle symbolise l'abandon des vaines parures d'ici-bas et le dépouillement total en présence du Créateur. C'est exactement dans cet état que nous sommes lorsque nous entrons dans ce monde, enveloppés de langes. C'est ainsi que nous sommes encore lorsque nous le quittons et qu'on nous dépose, enveloppés d'un linceul, dans la tombe. Une certaine tenue officielle n'est-elle pas de rigueur pour rencontrer le roi ? Nous affirmons, pour notre part, qu'aucune tenue n'est adéquate face à la Splendeur divine, sinon le dépouillement total des ornements de ce monde. Dieu est en effet supérieur à tous les rois. On ne peut se présenter à Lui que dans l'humilité et le dépouillement. L'habit tout simple que revêtent devant Dieu le riche, le pauvre, le maharajah et le millionnaire signifie encore que tous les hommes sont frères, quelle que soit la différence de rangs et de richesses qui les sépare. Le Pèlerinage est pour nous une assemblée solennelle et un rassemblement annuel. Il est à l'image de la Prière rituelle du vendredi, ce petit rassemblement où nous nous retrouvons chaque semaine. Pour qui y réfléchit et les médite, tous ces rites ont une signification grandiose. Ils sont à cent lieues du paganisme. Cher ami, si tu accomplissais avec moi la station sur le mont Arafat, perdu dans la foule de plusieurs millions de personnes qui scandent « Allâhu Akbar ! Dieu est le-Plus-Grand ! », qui récitent le Coran et psalmodient « Labbayka Allâhumma labbayka ! Me voici, ô mon Dieu, devant Toi ! », si tu les voyais pleurer tellement est intense l'amour dans les coeurs, tu serais toi aussi en larmes en te fondant dans cette foule humaine. Tu ressentirais ton néant face à la Grandeur de Dieu, ce Roi Tout-Puissant, Maître de l'univers. |
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