13 - Le Coran à l'épreuve du doute
Mon ami repartit à l'attaque : - Tu as beau dire tout ce que tu voudras, le Coran se contredit lui-même ! La preuve avec les versets suivants : « Que celui qui le veut croie et que celui qui le veut reste incrédule. » (Coran : 18, 29) « Vous ne le voudrez que si Dieu le veut. » (Coran : 76, 30) Il est dit que les pécheurs seront interrogés lors du Jugement : « Leur témoignage est consigné par écrit ; ils seront interrogés. » (Coran : 43, 19) « Ceci est un Rappel pour toi et ton peuple ; vous serez bientôt interrogés à son propos. » (Coran : 43, 44) Par contre, « Les coupables ne seront pas interrogés sur leurs péchés. » (Coran : 28, 78) « Les pécheurs seront reconnus à leurs marques ; ils seront saisis par les cheveux et les pieds. » (Coran : 55, 41) Le Coran affirme que personne ne sera enchaîné comme un criminel et que « nul ne chargera personne de chaînes ». (89, 26) Chacun assumera son propre châtiment. « Nous attachons au cou de chaque homme son destin. Le jour de la Résurrection, nous lui présenterons un livre qu'il trouvera ouvert : Lis ton livre ! Il suffit aujourd'hui pour rendre compte de toi-même. » (Coran 17, 13-14) Mais nous lisons par ailleurs : « Attachez-le, ensuite, avec une chaîne de soixante-dix coudées. » (Coran : 69, 32) Je répondis : - Il n'existe, dans ces versets, aucune contradiction. Réfléchissons ensemble ! « Que celui qui le veut croie et que celui qui le veut reste incrédule » : ce verset indique clairement que l'homme est libre de choisir comme il l'entend. Cependant, sa liberté n'est pas dérobée à Dieu. Nous ne la conquérons pas de force. C'est Dieu qui nous l'a donnée, selon sa Volonté. D'où le verset suivant : « Vous ne le voudrez que si Dieu le veut. » La liberté du serviteur est à l'intérieur même de la Volonté de son Seigneur ; elle n'existe pas indépendamment d'elle. Certes, la liberté humaine peut déplaire à Dieu en choisissant le péché, mais elle ne peut aller à l'encontre de cette Volonté puisque c'est d'elle que dépend son existence. Nous avons déjà expliqué ce point délicat à propos du problème de la prédétermination divine. Nous avons affirmé que cette prédétermination et la liberté humaine sont indissociables. Ce que Dieu choisit pour l'homme correspond à l'intention née du coeur humain. Dieu veut pour l'homme exactement ce que l'homme a délibérément choisi pour lui-même en son for intérieur. L'homme est prédestiné à l'objet de son propre choix. Aucune contrainte en cela, aucun dualisme, aucune contradiction ! Prédestination et libre arbitre ne font qu'un. C'est là l'une des questions les plus délicates concernant la compréhension de l'énigme de la prédestination. Mais en parlant, comme tu le fais, de contradiction, tu évacues en fait le mystère. Quant aux versets relatifs au Jugement, chacun d'entre eux vise un groupe différent. Certains hommes, en effet, seront interrogés et on leur demandera d'avouer leurs actes. Il en est d'autres dont les fautes seront si nombreuses qu'ils seront trahis par leur visage : ils seront reconnus à leurs marques, puis saisis par les cheveux et les pieds. D'autres, qui s'obstineront à nier, auront à subir le témoignage de leurs mains et de leurs pieds : « Ce Jour-là, nous mettrons un sceau sur leurs bouches, mais leurs mains nous parleront et leurs pieds témoigneront de ce qu'ils auront fait. » (Coran : 36, 65) D'autres encore seront leurs propres juges : ils infligeront à leur âme le supplice du remords et les seules chaînes auxquelles ils seront attachés seront celles de l'affliction. Il y a enfin les grands criminels, les tyrans odieux : si importante que soit l'Heure du Jugement, ils affronteront Dieu en ayant recours aux serments et aux mensonges : « Le Jour où Dieu les ressuscitera tous, ils Lui feront des serments comme ils vous en faisaient, pensant ainsi s'appuyer sur quelque chose de solide. Ne sont-ils pas menteurs ? » (Coran : 58, 18) Ceux-là seront traînés face contre terre et solidement liés à leurs chaînes, celles-ci étant, d'après Abû Hamîd al-Ghazâlî, celles des causes ("l'enchaînement causal"). Quel est ton avis sur les versets coraniques qui traitent de la Science divine ? « La Science de l'Heure appartient à Dieu. Il fait descendre la pluie diluvienne. Il sait ce que renferme le sein des mères. Nul ne sait ce qu'il acquerra demain ; nul ne sait en quelle terre il mourra. » (Coran : 31, 34) Le Coran ajoute que cette Science est détenue exclusivement par Dieu : « Il possède les clés du mystère que Lui seul connaît parfaitement. » (Coran : 6, 59) - Que penses-tu alors du gynécologue qui peut connaître à l'avance le sexe d'un enfant que la mère porte encore en son sein ? Ou bien de ces savants qui, en ayant recours à la chimie, produisent artificiellement la pluie ? - Le Coran n'a pas parlé d'une pluie ordinaire, mais de la pluie « diluvienne », de cette pluie si abondante qu'elle suffit à changer le destin d'un pays entier en lui apportant le secours nécessaire et en transformant son sol aride en terres fertiles et riches. Une telle pluie ne peut être provoquée artificiellement. Oui, Dieu sait ce que peut renfermer le sein d'une mère. Sa Science ne se limite cependant pas à la connaissance du sexe du futur nouveau-né : elle est universelle ; elle englobe tout. Dieu sait à l'avance qui sera cet enfant à naître, ce qu'il deviendra, ce qu'il fera de sa vie et quelle sera son histoire, du jour de sa naissance à celui de sa mort. Une telle science n'est pas à la portée du médecin. - Et maintenant, quelle est cette histoire de Siège divin dont vous affirmez qu'il « s'étend sur les cieux et sur la terre » ? Quel est ce Trône qui serait porté par huit anges ? - Ton intelligence, à toi, pauvre homme insignifiant, s'étend aux dimensions de la terre et des cieux. Comment ne pourrait-il pas en être de même pour le Trône divin ? La terre, le soleil, les planètes, les étoiles et les galaxies sont portées par la Puissance de Dieu dans l'espace. Comment peux-tu t'étonner qu'un trône y soit aussi porté ? - Mais quel est ce Siège ? Et ce Trône ? - Dis-moi tout d'abord ce qu'est un électron et je te dirai ce qu'est ce Siège divin ! Dis-moi ce que sont l'électricité, la gravitation, le temps... Tu ignores tout de toute chose et tu me demandes ce que sont le Siège et le Trône divins ! C'est l'un de ces secrets dont notre monde est rempli. - Et cette fourmi qui prend la parole pour avertir ses compagnes de l'arrivée de Salomon à la tête de son armée : « Une fourmi dit : Ô vous les fourmis ! Rentrez dans vos demeures, de peur que Salomon et son armée ne vous écrasent. » (Coran : 27, 18) - Si tu avais la moindre notion d'entomologie, tu ne me poserais pas pareille question. Cette science comporte en effet des études nombreuses et détaillées sur le langage des fourmis et celui des abeilles. Le langage des fourmis est désormais un fait acquis. Il est impossible de concevoir les diverses fonctions, l'organisation et la transmission des ordres à l'intérieur d'une fourmilière de plusieurs centaines de millions d'individus si ces insectes ne possèdent pas un langage pour se comprendre entre eux. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'une fourmi ait reconnu Salomon. L'homme n'est-il pas parvenu à la connaissance de Dieu ? Comment comprendre ce verset : « Dieu efface ou confirme ce qu'Il veut. La Mère du Livre [archétype céleste du Coran] se trouve auprès de Lui » ? (Coran : 13, 39) - Votre Dieu se tromperait-Il comme nous nous trompons dans un problème de calcul ? Doit-Il se relire comme nous le faisons nous-mêmes ? - Dieu efface les mauvaises actions pour nous inspirer les bonnes, parce que « les bonnes actions dissipent les mauvaises ». (Coran : 11, 114) Dieu dit ensuite des justes parmi ses serviteurs : « Nous leur avons inspiré de bonnes actions : la prière et l'aumône. » (Coran : 21, 73) Dieu efface donc sans effacer. Telle est la signification mystérieuse du verset que tu as mentionné. - Une nouvelle fois, comment comprendre ce verset : « Je n'ai créé les Djinns et les hommes que pour qu'ils me vénèrent» ? (Coran : 51, 56) Dieu aurait-Il besoin de quelqu'un pour l'adorer ? - Non ! C'est nous qui avons besoin d'adorer Dieu. - Adores-tu une femme par pur devoir ? Ton amour ne te rend-il pas plutôt ivre de bonheur ? N'es-tu pas heureux de savourer la beauté de celle que tu chéris ? Il en est ainsi pour Dieu, Lui qui surpasse toute beauté. Si tu reconnais sa Splendeur, sa Beauté et sa Toute-Puissance, tu l'adores et trouves en cette vénération le comble du bonheur et de l'ivresse. Le culte de Dieu, selon nous, ne peut procéder que de la connaissance. Science et adoration sont inséparables. La connaissance de Dieu est en effet le couronnement de tous les savoirs, le terme d'un long périple commençant à la naissance. La première chose que connaît le nouveau-né, c'est le sein de sa mère. Il y trouve sa première satisfaction. Puis il apprend à connaître sa mère, son père, sa famille, sa société, son milieu. Il entreprend de tirer profit de ce milieu en l'exploitant. Les entrailles de la terre s'offrent à lui comme une source abondante de richesses, de profits et de plaisirs : or, diamants, perles, fruits, produits de la nature. Sur le chemin du savoir, il connaît ici sa deuxième source de satisfaction. Puis, dépassant cette connaissance des réalités terrestres, il entreprend d'explorer l'espace. Il met le pied sur la Lune. Il lance ses satellites en direction de Mars... Dans ce vol vers l'inconnu, il savoure une autre joie, plus intense encore : la conquête de l'univers. De retour sur terre, notre voyageur en vient alors à se demander à lui-même : Qui suis-je, moi qui ai accumulé toutes ces connaissances ? Pour lui, un nouveau voyage commence, mais cette fois-ci, à l'intérieur de lui-même. C'est son âme qu'il veut sonder afin d'en contrôler les puissances et la volonté, pour son propre bien et celui d'autrui. À nouveau, il y trouve une satisfaction supplémentaire. Finalement, après la connaissance de l'âme, vient celle de Dieu, Créateur de l'âme. C'est le degré suprême et ultime de la connaissance, où l'homme connaît le sommet du bonheur. Il y rencontre l'Être Parfait et Transcendant qui surpasse toute beauté. Tel est l'itinéraire de l'homme sur le chemin qui le conduit à l'adoration de son Seigneur, un chemin recouvert de roses et rempli de délices. Si la vie présente quelque aspect pénible, c'est parce qu'en cueillant les roses, on ne peut éviter les épines qui égratignent les mains. Pour trouver l'abri de l'Infini, il faut lutter pour y parvenir. Mais quelle joie indicible pour qui accède à la connaissance de son Seigneur et dont les yeux s'ouvrent tout à coup à la lumière ! Quoique revêtu de haillons, le mystique s'exclame : « Si les rois savaient quel bonheur est le nôtre, ils nous en voudraient et nous tueraient de leurs épées! » En cela réside le bonheur que procure le véritable culte rendu à Dieu. Il est réservé à celui qui adore son Seigneur. Dieu, pourtant, n'a pas besoin de notre adoration, tout comme Il n'a nul besoin du monde créé. Nous ne l'adorons pas aveuglément, par pur devoir, mais bien parce que nous avons reconnu sa Gloire et sa Splendeur. Nous ne trouvons dans ce culte pas le moindre avilissement, mais plutôt une libération et la félicité, une libération des esclavages de ce monde, des passions, des bas instincts, des ambitions et des richesses. Nous ne craignons que Dieu seul. Nous ne nous préoccupons de personne d'autre que Lui. La crainte de Dieu est audace. Le culte qui Lui est rendu est liberté. La prosternation devant Lui est un honneur. Le connaître, c'est parvenir à l'entière certitude. Tel est le culte rendu à Dieu. Tous les avantages, toutes les joies qui en découlent sont à notre seul profit, car Dieu n'a besoin de rien. Il nous a créés, non pas pour nous demander quoi que ce soit, mais par pure libéralité. Il nous a créés pour nous revêtir de ses Perfections. Lui qui voit et entend tout, Il nous a donné l'ouïe et le regard. Lui qui sait tout, Il nous a donné une raison et des sens pour que nous puissions bénéficier de sa Science. Il dit à l'homme qui s'est approché de Lui par le culte : « Mon serviteur ! Obéis-moi et je te revêtirai de ma Seigneurie. Tu diras à telle chose : Sois ! Et elle sera. » Dieu ne s'est-Il pas comporté ainsi envers Jésus ? C'est avec son consentement que Jésus ressuscitait les morts, qu'il créait les oiseaux à partir de l'argile, qu'il guérissait les muets et les lépreux. Eu égard à Dieu, la servitude prend un sens contraire à celui que nous donnons habituellement à ce mot. Pour nous, en effet, elle signifie que le maître s'approprie le meilleur de son serviteur. Or, c'est le contraire pour Dieu : c'est Lui, le Maître suprême, qui accorde à son serviteur des faveurs sans limites et le revêt d'une infinité de perfections. Lorsque Dieu dit : « Je n'ai créé les Djinns et les hommes que pour qu'ils me vénèrent », Il affirme en réalité : « Je n'ai créé les Djinns et les hommes que pour leur accorder mes faveurs, l'amour, le bien, l'honneur, la gloire... pour les revêtir de dignité et en faire mes représentants. » Le Seigneur Tout-Puissant n'a absolument pas besoin de notre adoration. C'est nous qui en avons besoin, car elle est pour nous source d'honneur, de gloire, de dignité, de dons et de biens sans limites. Dans sa Magnanimité, Dieu nous a permis de nous présenter devant Lui à tout moment, sans rendez-vous, de rester en sa présence tout le temps que nous voulons et de Lui faire toutes les demandes possibles. Il nous suffit d'étendre notre tapis de prière et de dire : « Allâhu Akbar ! Dieu est le-Plus-Grand ! » pour que nous nous soyons en sa présence et que nous puissions Lui demander ce que nous voulons. Où est ce roi qui fixe des rendez-vous précis et ne nous permet pas de rester en sa présence autant que nous voulons ? Le shaykh Matwallî al-Sha'râwî écrivait à ce propos : « Il me suffit comme gloire d'être serviteur. Sans rendez-vous, je suis reçu par mon Seigneur. Dans sa Gloire, Il trône en majesté. Mais je frappe à sa porte chaque fois qu'il me plaît. » Et le shaykh d'ajouter : « Montrez-moi une action à accomplir cinq fois par jour [il mentionnait par là les cinq prières rituelles de l'Islam] sans être sujette à usure ! » Tel est le sens caché du verset qui a provoqué tes doutes : « Je n'ai créé les Djinns et les hommes que pour qu'ils m'adorent. » Si tu le méditais, il ne susciterait que ton émerveillement. |
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