Mon ami me dit : - N'admets-tu pas que vous abusez de la formule : « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu » ? Elle est pour vous comme un sésame ouvrant toutes les portes. Vous l'employez aussi bien pour un décès que pour une naissance. Vous la mettez partout : sur les sceaux, sur les médailles portées autour du cou, sur la monnaie, sur les murs... À vous entendre, celui d'entre vous qui la prononce met son corps à l'abri du feu. S'il la récite mille fois par jour, il entre au paradis, comme s'il s'agissait d'un talisman, d'une amulette pour chasser les démons ou d'un bocal pour emprisonner les mauvais esprits... Il y a encore ces lettres par lesquelles commencent de nombreuses sourates du Coran et que vous utilisez sans en connaître la signification : alif, lam, mim, kaf-ha-ya-'ayn-sad, ta-sin-mim, ha-mim, alif-lam-ra... Me suffit-il de dire : « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu » pour échapper au châtiment éternel ? Dans ce cas, c'est simple ! Je vous prends à témoin, toi et ceux qui sont ici présents : « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu ! » Voilà ! Est-ce que ça suffit ? - Tu n'as rien dit du tout ! La formule « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu » n'a de réelle signification que pour ceux qui la mettent en pratique, non pour ceux qui se contentent de la murmurer du bout des lèvres. C'est un engagement pour la vie, non de simples mots. Réfléchissons un peu à sa signification. Lorsque nous disons « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu », nous voulons dire que seul Dieu doit être adoré. Entre « Il n'y a pas » et « sauf », entre la négation et l'affirmation à partir desquelles est construite la formule, est inclus tout le dogme que nous confessons. Par la négation, nous refusons à toute chose la divinité. Nous la refusons aux séductions qui nous envoûtent ici-bas : l'argent, le prestige, le pouvoir, les plaisirs, le luxe, le charme des femmes, le clinquant des honneurs. À tout cela, nous disons : « Non! Nous ne t'adorons pas. Tu n'es pas Dieu ! » Puis nous disons « non » à nous-mêmes, à notre âme qui obéit à toutes ces convoitises. Par elles, l'homme s'adore en effet lui-même. Il adore ses habitudes, ses idées, ses passions, ses choix, son tempérament, son intelligence, ses talents, sa réputation. Il s'imagine avoir plein pouvoir sur toute chose. Il croit être maître du destin des hommes et de la société. Il s'érige en dieu, sans le savoir. À ce Moi aussi, nous disons : « Non ! Nous ne t'adorons pas. Tu n'es pas Dieu! » Au directeur, au chef, au responsable politique, nous disons : « Non! Tu n'es pas Dieu ! » Dieu seul, pour nous, est Celui qui agit. Tout le reste n'est que moyens et causes secondaires : le directeur, le ministre, le président, l'argent, le prestige, l'autorité, l'esprit avec son intelligence et ses dons... À tout cela, nous disons : « Non ! Tu n'es pas Dieu ! » Après la négation, vient l'exception. Il n'y a pas de dieu « sauf » un seul dont nous affirmons la Toute-Puissance : le Dieu Unique. Tout le dogme que nous confessons est là, inclus entre la négation et l'exception affirmative. Celui qui se préoccupe d'amasser les biens matériels, d'accumuler les richesses, de flatter l'autorité, de s'attirer les bonnes grâces des chefs, de courir les plaisirs, de suivre ses passions, de défendre avec entêtement ses opinions et d'imposer avec fanatisme son point de vue... celui-là n'a pas dit « non » à toutes ces idoles. Sans le savoir, il se prosterne devant elles. Lorsqu'il dit : « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu », il ment. Il prononce avec sa langue ce que ses mains et ses pieds s'empressent de démentir. La formule « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu » signifie aussi que Dieu seul observe et tient compte de tout. Il est le seul digne d'être craint. Celui qui a peur de la maladie, des microbes, du bâton du policier et des forces de l'ordre, celui-là n'a pas dit « non » à toutes ces divinités imaginaires. Il se prosterne toujours devant elles et il a associé à son Créateur ces faux dieux. Il est donc un menteur lorsqu'il dit : « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu ». Cette formule est en outre un pacte, une loi, une manière de vivre. Il faut mettre en pratique ce qu'elle signifie. Pour qui se comporte ainsi, elle est effectivement un sésame auquel nulle porte ne résiste. Elle lui assure le salut ici-bas et dans l'Au-delà. Elle est une voie d'accès au paradis. Mais si elle est prononcée uniquement du bout des lèvres, sans l'assentiment du coeur ni une réelle mise en pratique, elle est absolument inutile. Cette formule a finalement une portée philosophique. Selon le docteur Zakî Naguîb Mahmoud, la profession de foi « Il n'y a pas de dieu sauf Dieu » inclut la reconnaissance de trois vérités : l'existence du « sujet », celle de l' « objet » et celle des témoins. Elle est donc une reconnaissance explicite que le Moi humain, Dieu et les autres ont une existence réelle. Par là, l'Islam refuse à la fois la philosophie idéaliste et la philosophie matérialiste. Il refuse la droite et la gauche pour choisir une position intermédiaire. Il refuse l'Idéalisme philosophique parce que celui-ci ne reconnaît pas l'existence des autres ni celle du monde matériel comme réalité extérieure et indépendante de la raison. Selon l'Idéalisme, tout s'écoule comme un rêve, comme les pensées qui viennent à l'esprit. Ta personne, la radio, la rue, la société, le journal, la guerre, tout cela n'est qu'un ensemble de réalités, de visions et de rêves n'ayant d'existence que dans mon esprit. Le monde extérieur n'a aucune existence réelle. Cette position idéaliste extrême est refusée par l'Islam. Elle est contraire notamment à la profession de foi musulmane qui, nous l'avons déjà dit, est une reconnaissance explicite de l'existence réelle et certaine du « sujet », de l' « objet » et des témoins, c'est-à-dire du Moi humain, de Dieu et des autres. L'Islam refuse également la philosophie matérialiste car, tout en reconnaissant l'existence du monde matériel, elle nie l'au-delà. Elle nie l'existence du mystère et de Dieu. L'Islam propose une philosophie et une pensée réalistes. Il reconnaît l'existence du monde matériel, en y ajoutant toutefois toute la richesse qu'apporte l'existence de Dieu et du mystère. Grâce à une synthèse de leurs pensées respectives, il réunit la droite et la gauche en une philosophie universelle qui ne cesse d'être un défi pour les penseurs les plus appliqués, devançant les théories qu'ils ont pu élaborer sur des bases non certaines. La profession de foi musulmane représente donc à la fois une manière de vivre et une attitude philosophique. Lorsque tu te contentes de la réciter, tout en adhérant à la position philosophique matérialiste, tu commets un double mensonge. Tu professes tout d'abord ce que nie ta philosophie. Ensuite, tu ne fais pas le moindre effort pour conformer ta vie à cette profession de foi. Pour en venir finalement à la question des lettres mystérieuses dont tu parlais, peux-tu me dire pourquoi nous utilisons des lettres semblables dans les sciences ? Pour qui ignore tout du calcul, de l'algèbre et des mathématiques, X, Y, les tables des logarithmes ou une formule comme E = MC² ne sont que des énigmes et des formules magiques, alors que ces signes revêtent des significations très importantes pour les savants. Ainsi en est-il des lettres mystérieuses contenues dans le Coran, lorsque la signification nous en est découverte. Mon ami prit son air moqueur : - Tu en connais donc la signification ? Je m'attendais à la question : - C'est un sujet passionnant, répondis-je aussitôt. Il nous faudra y revenir plus longuement, car il te réserve bien des surprises ! |
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