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'Abdouh - عبده
Son nom et sa généalogie Mouhammad 'Abdouh D’un père turcoman et d’une mère égyptienne originaire de la tribu arabe des Banû `Adî. Sa naissance L’Imâm Muhammad `Abduh naquit en 1849, 1265 H. Son apprentissage Il grandit dans un petit village de la campagne égyptienne appelé Mahallat Nasr, dans la province d’Al-Buhayrah. Comme tous les enfants de son village, il fut envoyé par son père à l’école coranique, où il reçut ses premières leçons du Sheikh du village. À son adolescence, son père l’inscrivit à la Mosquée d’As-Sayyid Ahmad Al-Badawî, dite Mosquée Ahmadite, dans la ville de Tantâ, qui était proche du village. Le jeune Muhammad `Abduh devait alors apprendre à psalmodier le Coran après qu’il l’eut mémorisé, et étudier quelque peu les sciences juridiques et la langue arabe. Muhammad `Abduh avait alors quinze ans. Il fréquenta la Mosquée Ahmadite pendant près d’un an et demi, au terme duquel il ne parvint à se familiariser avec le programme et le système scolaires qu’il trouvait stériles. Ces programmes étaient en effet principalement à base de commentaires de textes et de scolastique ; ils étaient dépourvus de toute standardisation et accusaient un manque cruel de clarté de l’exposé. Muhammad `Abduh décida donc d’abandonner les études pour se tourner vers l’agriculture. Mais son père insista pour qu’il poursuive ses études. Lorsque le jeune adolescent vit que son père ne changerait pas d’avis, il fugua vers un village avoisinant où vivaient certains de ses grands-oncles paternels. Muhammad `Abduh retrouva ainsi son grand-oncle paternel, le Sheikh soufi Darwîsh Khidr, dont la forte influence allait modifier le cours de la vie de son neveu. Le Sheikh Darwîsh était très marqué par les enseignements du Sénousisme qui prône un retour à un Islam pur, dans sa simplicité primitive, épuré de toutes les innovations et de toutes les chimères qui se sont inflitrées en lui au cours des siècles. Il parvint à faire regagner sa confiance à Muhammad `Abduh, après lui avoir expliqué de manière simple les textes difficiles qu’il avait étudiés. Il affranchit ainsi son neveu des obscurités et des complexités qu’il avait été amené à rencontrer dans ses études, et lui présenta les textes d’une manière simple et facile, adaptée au jeune esprit en formation. Muhammad `Abduh retourna alors à la Mosquée Ahmadite, avec une confiance accrue, et une plus grande maîtrise des enseignements qu’il étudiait. Il finit même par aider ses camarades, en leur expliquant ce qu’ils n’avaient pas compris, avant même l’heure du cours du professeur. Ainsi, il était devenu prêt à marcher d’un pas ferme et assuré sur le chemin du savoir et de la connaissance, après avoir retrouvé sa confiance en lui-même. Après la Mosquée Ahmadite, Muhammad `Abduh intégra la Mosquée Al-Azhar en 1865. Al-Azhar était alors l’aboutissement auquel rêvait tout étudiant. Dans cette prestigieuse université, Muhammad `Abduh étudia la jurisprudence, le Hadith, l’exégèse, la linguistique, la grammaire, la rhétorique et autres disciplines religieuses et littéraires. À cette époque, le programme scolaire d’Al-Azhar ne sortait pas du cadre de ces disciplines. Il n’y avait ni histoire, ni géographie, ni physique, ni chimie, ni mathématiques, ni aucune de ces sciences qu’on qualifiait alors de sciences des profanes. Le programme sclérosé d’Al-Azhar connut donc à cette époque un retard immense. Les savoirs enseignés étaient superficiels et ne touchaient pas aux profondeurs des choses. Les études étaient donc principalement à bases de textes et de commentaires. Muhammad `Abduh poursuivit ses études à Al-Azhar pendant douze ans, au terme desquels il obtint le diplôme de la `âlamiyyah en 1877. Muhammad `Abduh entra dès lors en contact avec le deuxième homme qui eut une grande influence sur lui, et qui l’orienta vers les sciences modernes. Il s’agissait du Sheikh Hasan At-Tawîl, célèbre pour ses connaissances en mathématiques et en philosophie. Ce Sheikh, par ailleurs lié à la politique, était connu pour son courage de dire ce qu’il pensait, de manière franche et non détournée. Les enseignements de Sheikh Hasan At-Tawîl remuèrent les sentiments de Muhammad `Abduh et le poussèrent à chercher davantage ce qui étancherait sa soif de connaissance. Il trouva finalement ce qu’il cherchait chez Sayyid Jamâl Ad-Dîn Al-Afghânî. Al-Afghânî trouva chez Muhammad `Abduh une intelligence affûtée, de bonnes dispositions et une grande motivation pour la réforme. Muhammad `Abduh découvrait de son côté, à travers la personne d’Al-Afghânî, le monde qui lui avait été occulté par la nature de l’enseignement à Al-Azhar. Les deux Sheikhs se lièrent alors l’un à l’autre, et se développa entre eux une amitié pure, une sorte de concorde, d’harmonie et d’entente parfaite, qui trouvait ses racines dans l’amour mutuel, le respect et l’estime qu’ils se réservaient l’un l’autre. Son enseignement Après avoir décroché à Al-Azhar son diplôme de la `âlamiyyah, Muhammad `Abduh débuta une carrière de lutte pour le savoir et pour l’illumination des esprits. Il ne se contenta donc pas d’enseigner à Al-Azhar. Il enseigna également à la Faculté de Dâr Al-`Ulûm (Maison des Sciences) et à la Faculté des Langues, tout en prenant part à des activités publiques. Ses cours à Al-Azhar concernaient la logique, la philosophie et la science de l’Unicité divine. À Dâr Al-`Ulûm, il enseignait la Muqaddimah d’Ibn Khaldûn. Il publia en outre un livre de sociologie et d’urbanisme. Il prit contact avec un certain nombre de journaux. Il écrivait ainsi pour le journal Al-Ahrâm des articles sur la réforme morale et sociale. Il rédigea par exemple un article sur « L’écriture et la plume », un autre sur « Le gérant humain et le gérant rationnel et spirituel », et un troisième article sur « Les sciences rationnelles et l’appel pour les sciences modernes ». Lorsque le Khédive Tawfîq prit le pouvoir en Égypte, et que Riyâd Pasha entra dans ses fonctions de Premier Ministre, ce dernier voulut réformer le Journal Officiel. Il choisit alors Sheikh Muhammad `Abduh pour mener à bien cette entreprise. Muhammad `Abduh s’entoura de personnalités aussi distinguées que Sa`d Zaghlûl, Ibrâhîm Al-Hilbâwî et Sheikh Muhammad Khalîl pour l’aider dans la tâche qui lui fut confiée. Il mit en place dans le Journal Officiel une rubrique non-officielle, à côté des informations officielles, dans laquelle étaient rédigés des articles de réforme intellectuelle et sociale. Sheikh Muhammad `Abduh était le rédacteur-en-chef de cette section du Journal. Il travailla dans ce poste pendant un an et demi environ, au cours duquel il parvint à faire du Journal Officiel une tribune pour la réforme. La Révolution `urâbite Lorsque éclata la Révolution `urâbite de 1882 [2], de nombreux patriotes se joignirent à elle, en même temps que de nombreuses personnalités influentes et des savants d’Al-Azhar. Le peuple, avec ses différentes composantes, se mobilisa et ses réclamations furent appuyées par celles de l’armée. Les journaux allumaient alors la flamme de la révolution et excitaient les foules. Le célèbre écrivain `Abd Allâh An-Nadîm figurait parmi les plus zélés orateurs de la Révolution. Bien que Muhammad `Abduh n’était pas particulièrement motivé par un changement radical et révolutionnaire, il se joignit cependant aux partisans de la Révolution et devint l’un de ses leaders. Il fut arrêté et emprisonné pendant trois mois, au terme desquels il fut condamné à l’exil pendant trois ans. Entre Beyrouth et Paris Muhammad `Abduh partit à Beyrouth en 1883, où il resta près d’une année. Il fut ensuite appelé par son professeur Al-Afghânî à venir le rejoindre à Paris où lui aussi était exilé. Muhammad `Abduh répondit à l’invitation de son maître et s’associa avec lui pour publier la revue Al-`Urwat Al-Wuthqâ. Cette revue était publiée dans une petite chambre modeste située sur le toit d’une maison parisienne. Cette chambre était le siège de la rédaction de la revue et le lieu de rencontre des fidèles et des partisans. La revue troubla les Anglais et suscita leur inquiétude, tout comme elle provoqua la défiance des Français. L’Imâm Muhammad `Abduh et son professeur, ainsi qu’un petit nombre de leurs collaborateurs, portaient seuls le fardeau de la publication de la revue et de sa diffusion dans tout le monde musulman. À cette époque, les articles de l’Imâm étaient particulièrement incisifs et appelaient à la résistance au colonialisme et à l’émancipation de l’occupation étrangère sous toutes ses formes. Les Anglais parvinrent à étouffer la voix d’Al-`Urwat Al-Wuthqâ, cette revue qui troublait leur sommeil et qui importunait leurs oreilles. Elle disparut donc au bout de dix-huit numéros parus en huit mois. Le Sheikh Muhammad `Abduh retourna alors à Beyrouth en 1885, après que tout s’était effondré autour de lui : la Révolution `urâbite avait échoué, le journal Al-`Urwat Al-Wuthqâ avait été fermé, et il avait été séparé de son professeur qui était parti en Perse. Muhammad `Abduh devait donc occuper son temps par l’écriture et l’enseignement. Il commenta Nahj Al-Balâghah et les poèmes de Badî` Az-Zamân Al-Hamadhânî et se mit à enseigner l’exégèse coranique dans une mosquée de Beyrouth. Puis on lui proposa un poste de professeur à l’Université Sultânienne de Beyrouth. Il travailla donc à relever la position de cette institution et à refondre ses programmes universitaires. Il y enseignait la science de l’Unicité divine, la logique, la rhétorique, l’histoire et la jurisprudence. Il écrivit en outre des articles dans le journal Thamarât Al-Funûn, ressemblant aux articles qu’il écrivait pour le Journal Officiel égyptien. Bien que sa condamnation à l’exil ait été de trois ans, il resta cependant en exil pendant six ans, durant lesquels il lui était interdit de rentrer en Égypte, après sa participation à la révolte contre le Khédive Tawfîq et l’accusation de trahison et de collaboration avec l’ennemi qui lui avait été portée. Après de nombreuses tentatives d’intercession, menées par des leaders populaires et des politiciens comme Sa`d Zaghlûl, auprès de la Princesse Nâzlî ou de Mukhtâr Pasha, une amnistie fut prononcée en sa faveur en 1889. Il put enfin revenir sur sa terre natale. De retour en Égypte Tout était désormais entre les mains des Anglais. Mais l’objectif le plus important que s’était fixé le Sheikh Muhammad `Abduh était la réforme des croyances, la réforme des institutions islamiques comme Al-Azhar, les Awqâf ou les tribunaux islamiques. Muhammad `Abduh décida d’apaiser les tensions qui l’opposaient au Khédive, afin de se consacrer à la mise à exécution de son programme réformateur. Il prit également le parti de s’aider des Anglais eux-mêmes si cela s’avérait nécessaire. À son retour en Égypte, il remit un rapport sur les réformes que, de son point de vue, il fallait impérativement apporter pour relever le statut de l’éducation. Ce rapport fut remis au Lord Cromer qui était indubitablement le véritable gouverneur et le détenteur du pouvoir en Égypte. À son retour en Égypte, le Sheikh Muhammad `Abduh souhaitait devenir le doyen de Dâr Al-`Ulûm, ou tout du moins l’un des professeurs de cette institution. Mais le Khédive et les Anglais avaient un autre avis : on préféra le nommer à la fonction de Juge civil à la Cour de Banhâ, puis à Az-Zaqâzîq, et enfin à `Âbidîn. Après quoi, on le désigna à la fonction de magistrat de la Cour d’Appel en 1895. Muhammad `Abduh commença à apprendre le français alors qu’il était juge à `Âbidîn et qu’il avait atteint la quarantaine. Il finit par maîtriser cette langue, jusqu’à pouvoir consulter les lois et la jurisprudence françaises. Il traduisit également du français vers l’arabe un livre sur l’éducation. Le poste de Muftî Lorsque mourut le Khédive Tawfîq en 1892 et que prit sa place le Khédive `Abbâs, qui était décidé à lutter contre l’occupation, le Sheikh Muhammad `Abduh chercha à raffermir ses relations avec le nouveau souverain. Il parvint à le convaincre du bien-fondé de son programme de réforme qui touchait Al-Azhar, les Awqâf et les tribunaux islamiques. Une décision fut publiée décrétant la formation du Conseil d’Administration d’Al-Azhar, présidé par le Sheikh Hassûnah An-Nawâwî. Sheikh Muhammad `Abduh était membre de ce Conseil d’Administration. C’était l’occasion espérée pour qu’il puisse réaliser son rêve de réforme d’Al-Azhar, ce rêve qui lui taraudait l’esprit depuis que ses pieds avaient foulé pour la première fois la cour de la Mosquée-Université. En 1899, il fut nommé Muftî d’Égypte, mais sa relation avec le Khédive `Abbâs commençait à ternir, et continuait à se ternir au fil des jours. Le Sheikh s’était en effet opposé au Khédive lorsque celui-ci voulut échanger une de ses terres contre une terre des Awqâf, le Sheikh lui ayant demandé de verser aux Awqâf vingt mille livres de compensation. L’impitoyable campagne menée contre lui La situation s’envenima tant et si bien que la relation entre le Khédive et l’Imâm devint une relation d’inimitié et de haine de la part du Khédive. On commença alors à organiser des complots et des menées contre le Sheikh ; les journaux commencèrent à lancer des attaques farouches pour le rabaisser et le diffamer ; ses adversaires usèrent de moyens bas et mesquins pour l’insulter et salir son image devant le peuple. Il fut ainsi contraint à démissionner d’Al-Azhar en 1905. Sa mort Le Sheikh ressentit alors les symptômes dramatiques d’une maladie qui allait s’avérer être le cancer. Il mourut à Alexandrie, le 11 juillet 1905, à l’âge de cinquante-six ans; soit en 1323 H. |
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