Des hommes autour du Prophète (Mouhammad Khalid) - رجال حول الرسول
Abou Dharr Al-GhifariIl arriva à la Mecque comme n'importe quel autre voyageur qui
venait pour faire des tournées autour des déités encore vénérées ou qui ne
faisait qu'une halte pour se reposer, avant de reprendre la route. Pourtant, il
était à la recherche du Messager (ç). Il venait de faire tout ce chemin depuis
le terroir des Ghifar, pour le connaître et l'entendre parler de cette nouvelle
religion. Dès son arrivée, il se mit à glaner çà et là les informations.
Chaque fois qu'il entendait des gens parler de Mohammad, il tendait l'oreille
prudemment, si bien qu'il avait recueilli l'information sur le lieu où il
pouvait le trouver. Puis, au matin de ce jour-là, il s'en alla à cet endroit-là. Il
trouva le Messager (ç) assis seul. Il se rapprocha de lui et dit: «Bonjour! ô
frère arabe. Puis, Abou Dhar n'attendit pas beaucoup de temps, pour
proclamer: A cette réponse, le Messager (ç) esquissa un large sourire
significatif. Abou Dhar sourit aussi et sut au fond de lui le sens du sourire de
son interlocuteur. Oui, la tribu des Ghifar était réputée pour le brigandage de
ses hommes. Ces derniers étaient des pillards redoutés dans toute l'Arabie.
Comment se fit-il que l'un d'eux vint embrasser l'Islam, alors que l'Islam était
encore une religion méconnue? En racontant lui-même cette rencontre, Abou Dhar dira, entre
autres: «Le Prophète (ç) s'est mis alors à regarder de haut en bas, par
étonnement de ce qui est arrivé des Ghifar, puis il a dit: "Dieu guide qui il
veut."» C'est vrai, Abou Dhar est l'un de ces guidés, à qui Dieu veut
du bien. Déjà avant d'embrasser l'Islam, il était un révolté contre l'adoration
des idoles, qui tendait à croire en un créateur sublime. C'est pourquoi il se
dirigea vers la Mecque, dès qu'il entendit parler d'un prophète qui dénonçait
l'adoration des idoles. * * * Abou Dhar, de son vrai nom Jundub b. Jinada, se convertit donc à l'Islam, dès qu'il entendit les premiers versets de la bouche du Messager (ç). Dans le classement des musulmans, il est le cinquième ou le sixième. Par ailleurs, il était d'une nature bouillante. Il était fait pour être toujours révolté contre le faux. Et maintenant le voilà en train de voir des pierres taillées, auxquelles on courbait l'échine. Alors, il devait dire quelque chose, lancer un cri avant de partir. Il dit au Messager (ç): «Ô Messager de Dieu, que me
recommandes-tu?» Le Prophète (ç) lui répondit: «Tu reviens dans ton peuple,
jusqu'à ce que mon affaire te parvienne.» Abou Dhar ne se retint pas de dire sur
le champ: «Par celui qui détient ma vie dans sa main, je n'y retournerai
qu'après avoir crié l'Islam dans la Mosquée!» Ainsi était sa nature rebelle. Etait-il possible qu'Abou Dhar
retourne silencieux chez lui, à l'instant où il découvrait un monde nouveau?
Non, cela était insupportable pour lui. Après quoi, il entra à la Mosquée sacrée
et dit de sa plus haute voix: «J'atteste qu'il n'est de dieu que Dieu et
j'atteste aussi que Mohammad est l'envoyé de Dieul» A notre connaissance, c'était là le premier éclat de voix
musulman qui défia l'orgueil des Quraych, un éclat de voix lancé par un étranger
qui n'avait ni lien de parenté ni protection à la Mecque. Ce cri ameuta les
Quraychites, qui se mirent aussitôt à maltraiter Abou Dhar, de telle sorte qu'il
se retrouva à terre. Il ne fut sauvé in extremis que par l'intervention
d'al-Abbâs, l'oncle du Prophète (ç): «Ô Quraychites! avait-il dit, vous êtes des
commerçants et votre commerce passe par le pays des Ghifar, dont cet homme fait
partie. S'il excite son peuple conte vous, ils couperont chemin à vos
caravanes.» Le jour suivant, ou peut-être le même jour, le nouveau musulman
récidiva son défi, sans avoir la moindre peur. En effet, dès qu'il vit deux
femmes en train de faire des tournées autour de deux idoles, il se mit à jeter
le discrédit sur ces deux idoles, si bien que les femmes crièrent au
secours. Les Quraychites accoururent vite et se mirent à le frapper si
violemment qu'il perdit connaissance... Et quand il reprit connaissance, il dit
encore à haute voix: «J'atteste qu'il n'est de dieu que Dieu et j'atteste aussi
que Mohammad est l'envoyé de Dieu!» La nature de ce nouveau disciple n'étant plus un secret pour personne, le Messager (ç) lui réitéra son ordre de retourner chez lui et d'attendre la suite des événements. * * * Abou Dhar rentra donc chez lui et s'attela aussitôt à appeler
les membres de sa tribu à l'Islam. Il ne se limita pas dans cette noble mission
à sa seule tribu, puisqu'il appela aussi les Aslam, qui étaient les voisins des
Ghifar. Puis, après l'expatriation du Messager (ç) à Médine, voilà Abou Dhar qui
arrivait avec un grand convoi de musulmans venant du terroir des Ghifar et des
Aslam! Le Messager (ç) les accueillit avec joie puis invoqua pour eux
la miséricorde divine. Quant à Abou Dhar, il dit de lui: «Les terres désertiques
et les terres verdoyantes n'ont connu de langue plus véridique que (celle)
d'Abou Dhar.» * * * Le Messager (ç) résuma en quelques mots la vie à venir de son
compagnon. Et effectivement, la sincérité sera l'essentiel dans la vie d'Abou
Dhar. Il mènera une vie de sincère qui ne trompa ni lui même ni autrui et qui ne
permit pas qu'on le trompât. Sa sincérité ne fut à aucun moment une qualité
sourde. Il disait la vérité et s'opposait au faux. Comme le Messager (ç) voyait avec clairvoyance les difficultés
qu'Abou Dhar allait rencontrer, il lui recommandait toujours la patience. Un
jour, il lui posa cette question: «Ô Abou Dhar, comme agiras-tu quand tu seras
rejoint par les émirs qui s'accaparent du butin. Au fait, pourquoi le Messager (ç) lui avait-il posé précisément cette question? Les émirs et la fortune, voilà la question à laquelle Abou Dhar consacra toute sa vie, tout en ayant toujours à l'esprit le conseil du Messager. * * * L'époque du Messager (ç) passa, puis celle d'Abou Bakr, puis
celle de Omar, avec la domination de la sobriété. Durant cette période, il n'y
eut pas de déviations pour qu'Abou Dhar élevât la voix et s'y opposât
vigoureusement. Mais, après la mort de Omar, les choses changèrent. Il constata
alors les effets néfastes du pouvoir et de la fortune sur ses anciens
compagnons, qui avaient pourtant côtoyé le Messager (ç). A chaque fois qu'il décidait de prendre son sabre et sortir
combattre le mal, il se rappelait le conseil du Messager (ç). Il laissait alors
son arme dans son fourreau, sachant bien qu'il est interdit d'utiliser les armes
contre le musulman: Il n'appartient pas à un croyant de tuer un croyant, sauf si
c'est involontairement (s. 3, v. 92). Sa tâche n'était donc pas de prendre les armes mais d'exprimer son opposittion aux pratiques condamnables, par le propos véridique et juste. Il fit alors face avec sa sincérité aux émirs, aux riches, c.-à-d. à tous ceux qui, par leur penchant pour la vie d'ici-bas, devinrent un danger pour la religion. • • • L'opposition d'Abou Dhar aux centres du pouvoir et de la
fortune devint si importante que son nom fut connu de tout le monde. Dans chaque
ville où il allait, avec chaque émir qu'il rencontrait, il avait sur ses lèvres
cette devise: «Annonce à ceux qui ammassent l'or et l'argent qu'ils auront des
cautères de feu, avec lesquels leurs fronts seront cautérisés, le Jour de la
rêsurrection.» Cette devise, sa devise, devint tellement célèbre que les gens la reprenait toutes les fois qu'ils le rencontraient dans la rue. A Damas, où Mouâwiya b. Abou Soufyan était le gouverneur qui gérait à sa guise les biens de la communauté musulmane, Abou Dhar mit à nu la gestion scandaleuse qui ne profitait qu'aux riches. Dans ses réunions avec les petites gens, il dit entre autres: «Cela m'étonne! Celui qui ne trouve pas quoi manger chez lui, pourquoi ne sort-il pas avec l'épée brandie?» Puis, se rappelant le conseil du Messager (ç), il abandonna le discouts guerrier pout revenir au discours raisonnable basé sur les arguments. Il parla de la justice sociale, de l'égalité entre les hommes et des devoirs de l'émir. Son activité devint dangereuse pour les émirs, lorsqu'il fit un débat public avec Mouâwiya. Ce jour là, Abou Dhar dit à Mouâwiya ses quatre vérités. Il lui rappela sans crainte sa fortune d'alors et celle qu'il avait avant de devenir gouverneur, sa maison qu'il avait à la Mecque et les palais qu'il possédait alors en Syrie. Ensuite, il s'adressa aux compagnons devenus riches qui étaient assis: «Etes-vous ceux qui ont accompagné le Messager, pendant que le Coran descendait sur lui? Oui, c'est vous qui étiez présents alors que le Coran descendait.» Puis, il revint à la charge, pour poser la question: «Ne
trouvez pas dans le Livre de Dieu: "Ceux qui thésaurisent l'or et l'argent, sans
en faire dépense sur le chemin de Dieu, annonce-leur un châtiment douloureux
*pour le jour où l'or et l'argent portés au rouge dans le feu de Géhenne leur
brûleront le front, les flancs, le dos: «Voilà ce que vous avez thésaurisé pour
vous-mêmes. Savourez donc ce que vous thésaurisiez!» (s. 9, v. 34-35). Mouâwiya
intervint, pour dire: «Ces versets ont été révélés à propos des Gens du Livre.
«Mais, Abou Dhar répliqua: «Non! ils ont été révélés pour nous et pour eux.»
Puis, il continua à conseiller Mouâwiya et ses semblables de remettre les
fermes, les palais et tous les autres au Trésor public... Après le débat, Mouâwiya envoya au khalife Othman une lettre, dans laquelle il se plaignit en ces termes: «Abou Dhar a corrompu les gens en Syrie.» Alors, Othman convoqua Abou Dhar à Médine. Celui-ci rentra effectivement et eut avec le khalife un long
entretien, à la fin duquel il dit: «Je n'ai pas besoin de votre monde.» Puis,
quand Othman l'invita à rester près de lui, à Médine, Abou Dhar demanda la
permission de se retirer à ar-Rabdha. Il eut cette permission. * * * A Ar-Rabdha, il reçut la visite d'une délégation venue
d'al-Koufa. On lui demanda de diriger la révolte contre le khalife. Mais lui les
mit en garde contre une telle action, avec des mots très clairs: «Par Dieu! si
Othman me crucifie sur la plus longue planche ou sur une montagne, j'écouterai
et j'obéirai et je patienterai... S'il me renvoie chez moi, j'écouterai et
j'obéirai et je patienterai...» A méditer cette réplique, on comprend qu'Abou
Dhar était resté respectueux du conseil du Messager (ç). A une autre occasion, il se comporta de la même façon avec Abou
Hurayra. A ce dernier, il avait dit: «Laisse-moi tranquille! n'es-tu pas
celui-là à qui on a donné le poste d'émir, si bien que tu es devenu propriétaire
de constructions, de bétail et de terres cultivées.» En outre, quand on lui
proposa l'émirat d'Irak, il répondit: «Par Dieu! non. Vous ne m'attirez jamais
par votre ici-bas.» * * * Un jour, un compagnon à lui le vit avec un vêtement très
ancien. Il lui dit: «N'as-tu pas un autre vêtement? Il y a quelques jours, j'ai
vu dans tes mains deux vêtements nouveaux? * * * En rapportant des hadiths du Messager (ç), il avait dit une
fois: «Mon ami m'a recommandé sept choses... Abou Dhar avait bien façonné sa vie suivant ce testament si bien qu'il devint la conscience de sa communauté. Voici justement le témoignage de l'imam Ali à son sujet: «A part Abou Dhar, il ne reste aujourd'hui aucun qui, en vue de Dieu, ne craint pas le reproche de personne.» Durant toute sa vie, il fut un opposant opiniâtre de
l'exploitation du pouvoir et de la monopolisation des richesses. Il vécut
toujours en tant que bâtisseur du droit chemin. Une fois, il avait dit: «Par
celui qui détient mon âme dans sa main! si vous déposez le sabre sur mon cou, et
que je pense avoir le temps de dire un mot que j'ai entendu du Messager, avant
de me le couper, je dirai ce mot sans hésiter (un seul instant).» * * * Le jour de sa mort, il était seul avec sa femme à ar-Rabdha, le
lieu qu'il avait choisi pour y résider, à la suite de son conflit avec le
khalife Othman. Sa femme était assise près de lui, les larmes aux yeux. Pour la
consoler, il lui dit: «Pourquoi pleurer, alors que la mort est un droit? Tous ceux qui étaient présents à cette réunion-là sont morts au milieu d'une communauté. Il ne reste que moi et me voilà en train de mourir dans un désert. Surveille la route. Un groupe de croyants va arriver ...» Puis, il rendit l'âme. Par Dieu! il avait dit vrai. Voilà au loin une caravane qui se profilait. Abdallah b. Masaoud était parmi les caravaniers. A la vue là-bas d'une dame et d'un enfant près d'un corps
étendu, il réorienta sa monture. Les autres firent comme lui. Dès qu'il arriva,
il reconnut vite le corps inerte de son compagnon. Il fondit alors en larmes,
avant de se rapprocher de la dépouille. Puis, il dit: «Le Messager de Dieu a dit
vrai. Tu marcheras seul, tu mourras seul, et tu seras ressuscité seul.» * * * Le Messager (ç) avait dit cela lors de l'expédition de Tabouk,
en l'an 09 de l'Hêgire, c-â-d. vingt ans avant ce jour-là. Lors de ce
déplacement, Abou Dhar était resté loin derrière l'armée musulmane, à cause de
son faible chameau, si bien que son absence avait été remarquée. Puis, après
s'être convaincu de l'incapacité de sa monture à continuer le voyage, il avait
repris le chemin, à pied. Il avait alors rattrapé ses compagnons le lendemain,
quand ces derniers s'étaient arrêtés pour une pause. Lorsque le Messager (ç) l'avait vu s'avancer seul, il avait dit: «Dieu accorde sa miséricorde à Abou Dhar! il marchera seul, il mourra seul et il sera ressuscité seul.» |
|